Pépites #82, Around Jazz
C’est du jazz… mais pas tout à fait non plus. Voici une collection de disques qui méritent qu’on leur rétrocède une oreille très attentive.
Verneri Pohjola : The Dead Don’t Dream (Edition)
On se souvient bien de ce trompettiste finlandais. Le fils de Pekka, bassiste légendaire, pionnier du jazz fusion qui a bercé la Scandinavie dans les seventies. Et auquel il a d’ailleurs consacré un album éponyme sous la forme d’une relecture filiale de l’œuvre. Un peu plus tard, et toujours sous la bannière du label anglais Edition, Verneri Pohjola a enregistré, un disque nettement plus aventureux encore, avec le percussionniste Mika Kallio. Il s’agissait de « Animal Image », une illustration sonore d’un documentaire signé Perttu Saksa. D’année en année, la musique du trompettiste évolue. Son jeu s’adapte, sans jamais quitter une sensibilité qui lui est propre, ni une modernité dont il s’accommode parfaitement. Les morts ne rêvent pas ! Le titre de son sixième album en solo était prémonitoire, à l’heure où nous vivons tous le cauchemar du confinement, à l’heure où la liste de ceux qui abandonnent leur dernier souffle au CODIR-19 s’allonge… Ce disque, Verneri Pohjola l’a enregistré en quartet renforcé, parmi lequel on retrouve deux vieux complices qui ont ciré les bancs de la Sibelius-Akademie avec lui, il y a près de vingt ans ! Le registre est large… Il y a du Miles (« Monograph » en entrée), du Jon Hassell quand il s’aventure sur des terres en friche et du Truffaz dans certaines envolées (la magnifique plage titulaire sur laquelle on s’étend durant huit minutes…). On vient de citer trois trompettistes essentiels, qui évoluent dans trois registres différents. A lui seul, Verneri Pohjola a assimilé tout cet héritage. Un gage de qualité !
Jeff Parker & the New Breed : Suite For Max Brown (International Anthem / Nonesuch)
Si l’on connaît bien le nom de Jeff Parker, c’est surtout parce qu’il fait partie d’un groupe essentiel de la scène rock alternative américaine : Tortoise. Mieux, c’est un peu grâce à son intronisation au sein de la bande à la fin des années nonante (l’album « TNT », qui rencontrera un beau succès en Europe) que Tortoise a probablement survécu. Le groupe de Chicago avait en effet un peu tendance à se reposer sur un tapis de lauriers glanés au lendemain de la sortie d’un « Millions Now Living Will Never Die » considéré par beaucoup comme l’un des fers de lance du mouvement post-rock… Un laisser-aller coupable qui a causé des mouvements dans le line-up original et des difficultés pour remettre Tortoise en selle ou en question. Mais chez Tortoise, on prend le temps de (bien) faire les choses… Ce qui permet à Jeff Parker de bâtir en parallèle une carrière solo qui compte à présent six albums. Cette carrière le mène sur des voies relativement semblables à celles de son groupe, situées entre un jazz libre de ses mouvements (une reprise d’After the Rain de Coltrane ici) et un rock aux frontières de l’avant-garde. D’ailleurs, Jeff Parker l’admet volontiers, il aime autant être surpris que surprendre lui-même… Selon la formule gag consacrée (« le fil rouge sur le bouton rouge… », il n’y aura pas de fil conducteur sur cette « Suite For Max Brown » (alias Maxime Parker-Phillips à qui cet album est dédicacé). Comme un Zappa des temps modernes, Jeff Parker aime emmener ses troupes et ses auditeurs où ils ne s’attendent pas à le suivre… Mais notre curiosité s’aiguise facilement… Alors on le suit aveuglément, de titres en sous-titres, élégants et déroutants comme cette Madame Brown qui illumine la pochette de sa beauté naturelle. Et on ne le regrette pas.
Chris Gall & Bernhard Schimpelsberger : Myriad (GLM)
Il y a l’Européen. Chris Gall, pianiste allemand de renommée internationale, auteur notamment de deux albums pour le compte du label ACT. Qui, selon l’expression consacrée, « a mangé à tous les râteliers »… Etudes du piano classique au prestigieux Berklee College de Boston, apprentissage du jazz, puis quelques incursions dans la musique pop et la soul (au sein du Hi-Fly Orchestra). Musiques du monde enfin, et un intérêt particulier pour la musique indienne qu’il appréhende avec le groupe de fusion Taalsim. C’est ici que l’on retrouve le point de convergence avec Bernhard Schimpelsberger l’Oriental (bien qu’ayant grandi en Autriche). L’homme a parcouru le Globe et s’est aussi intéressé à l’Inde où il a accompli son apprentissage des percussions. L’un et l’autre, avides de croisements culturels diversifiés, devaient se rencontrer. Ainsi naît le projet « Myriad », passionnante confusion des genres où le jazz, le romantisme néo-classique et la musique indienne s’enrichissent de la complicité des deux musiciens. La musique s’élève, pour prendre des voies aventurières sur lesquelles c’est si bon de s’évader.
Joseph « YT » Boulier