Raphaëlle Brochet

Raphaëlle Brochet

RAPHAËLLE BROCHET

Ça démarre avec une démo en duo avec Philippe Aerts : le son plein, rond et mélodique de la contrebasse de Philippe Aerts, on le connait, mais qui est donc cette chanteuse aux intonations ondulantes, à la voix fine et pleine d’émotion et qui chante « Spring Can Really Hang You Up The Most » – un standard peu joué – avec une délicatesse et une inspiration confondante. Le hasard  fait que Raphaëlle Brochet est quelques jours plus tard l’invitée de Steve et Greg Houben à « L’An Vert » et que là aussi elle nous scie avec « The Road To Granada » de Steve Houben. Une rencontre s’imposait, huit jours plus tard au « Confluent Jazz Festival » à Namur.

Bonjour Raphaëlle, de quand datent votre rencontre avec le jazz et lamusique en général ?

J’ai nagé dans le jazz dès mon enfance, mes parents étaient musiciens, ils avaient un groupe vocal. Je n’allais pas à l’école ! Mes parents étaient un peu soixante-huitards, cette génération en France qui ne croyait pas au système, c’était un peu l’école à la maison, je suivais des cours par correspondance. J’allais au Conservatoire assez intensivement suivre des cours de danse et de musique. C’est seulement quand mes parents se sont séparés que j’ai repris une vie qu’on dira normale, à partir de 14 ans. Comme dit ma mère, « T’as commencé tard, mais t’as fini tard ! » Par la suite, je n’ai plus arrêté d’étudier. J’aimais beaucoup changer d’air et j’ai déménagé souvent, donc j’ai aussi étudié dans plusieurs Conservatoires : Niort, Poitiers, Strasbourg, puis Paris et Nantes.  J’ai eu à cette époque une triple vie : le Conservatoire, l’Université où j’étudiais l’ethnologie, et, dès que j’avais un peu de temps, en été, je partais en Inde pendant deux ou trois mois. J’avais une bourse pour payer mes études et j’économisais toute l’année et travaillais comme modèle vivant dans des écoles d’art pour payer mes voyages. 

De quand date votre premier voyage en Inde ?

Mon premier voyage en Inde, je l’ai fait avec mes parents en formule routards, j’avais onze ou douze ans. Je m’y suis sentie bien tout de suite, je n’ai jamais eu le choc de l’Inde ni le sentiment d’être étrangère là-bas. A 18-19 ans, j’ai décidé d’y retourner seule en essayant de ne pas y vivre comme une touriste, je voulais vivre le pays de l’intérieur, et comme j’étais déjà musicienne, j’ai voulu m’intéresser à la musique indienne, alors que je n’y connaissais rien au départ, ce n’était pas du tout prémédité. J’y étais pour un mois dans le Sud de l’Inde, et j’ai tout de suite cherché un professeur de chant. Là, dès le premier cours, ça a été la révélation : elle a juste chanté mayamalavagowla raga avec les gamakas (ornementations) … et la lumière fut, je savais pourquoi j’étais faite. J’ai suivi les cours tous les jours pendant un mois et quand je suis rentrée en France, je n’avais plus que ça en tête. 

Quels sont les aspects de la musique indienne qui intéressent quelqu’un qui a une formation de Conservatoire occidental ?  Le raga est essentiellement rythmique, non?

Non, le raga exprime avant tout l’aspect mélodique de la musique indienne; le tala donne le cycle rythmique. En occident, on met l’accent sur l’harmonie, en Inde c’est la mélodie qui est mise en avant et ce qui m’a frappé c’est que ça ne passe pas tout de suite par l’entendement, ce n’est pas un truc mentalisé avant d’être senti; le raga développe une émotion, quelque chose de vivant, il y a les notes, mais il y a aussi les gamakas qui donnent vie au raga. Et pour répondre à ta question, ce qui me touche, c’est le côté direct, intuitif, de la transmission…Il y a aussi la subtilité, ce qui véhicule le « bhava », c’est-à-dire l’amour, l’émotion qu’on transmet. Quand on dit d’un musicien qu’il n’a pas assez de « bhava », c’est que quand il joue, on ne ressent rien, il ne raconte pas une histoire, ne nous emmène nulle part, même s’il a une technique exceptionnelle.  Pour moi, on est au service de la musique et non l’inverse. La musique n’est pas là pour nous mettre en avant. C’est nous qui sommes au service de quelque chose de plus grand, de quelque chose qui nous dépasse. 

Vous vous êtes aussi intéressée à la musique persane.

C’est un peu la même histoire. La différence c’est que j’écoutais déjà de la musique iranienne avant d’aller en Iran. Là-bas, j’ai eu la chance de pouvoir habiter chez un ami. Je me suis trouvé une prof et mon ami m’a accompagné pour mon premier cours car je ne connaissais pas un mot de farsi. En Iran, c’est un peu comme en Inde, c’est le professeur qui choisit son élève et non l’inverse. Le premier cours s’est déroulé de façon incroyable, d’abord l’accueil avec le thé, le voile que je devais porter,…puis des phrases chantées par le professeur et que je répétais. Le professeur m’a acceptée,  et je pouvais venir tous les jours ! Il était honoré de m’accueillir ! Mon ami me dit qu’il n’avait jamais vu ça, la musique est un sésame qui ouvre des portes. Mon ami a alors décidé de venir filmer mes cours et il en a fait un montage qui s’appelle « Le Souffle d’Allégresse » qu’on peut voir sur Youtube.  C’est une expérience qui m’a fort touchée. 

Comment mélanger ces différentes influences avec le jazz ?

J’ai réfléchi à comment intégrer cela dans ma musique, mais finalement c’est venu naturellement. Je pense que l’échec de certains mélanges de styles musicaux vient du fait que c’est trop mentalisé, on se dit qu’on va prendre un peu de ceci et de ça, un peu de tabla avec un peu de oud, ca peut être intéressant, mais ça fait travail de laboratoire, c’est un peu comme si dans un gâteau, tu remplaçais le beurre par la margarine… Je trouve qu’il faut s’immerger dans la musique jusqu’au bout, intégrer les éléments en toute sincérité, puis laisser venir les choses naturellement, en les laissant sortir de soi… Je passe beaucoup par l’improvisation pour explorer, puis j’écris.  Par exemple les deux tiers du répertoire de notre duo avec Philippe Aerts sont des arrangements de morceaux carnatiques que j’ai arrangé pour nous – mélodiquement, le morceau est resté tel quel – et puis il y a aussi quelques compositions personnelles, et deux-trois standards de jazz qu’on adore jouer.  Je trouve important d’écouter plein de choses différentes. Je me souviens au Conservatoire d’un saxophoniste qui n’écoutait que du bebop; eh bien dès qu’il entendait une mélodie, il la transformait immédiatement en bop, ça m’avait frappée… Il n’entendait plus les croches qu’en swing! C’est là que je me suis dit qu’il était important de s’ouvrir à toutes les musiques, pour entendre mieux. 

Comment finit-on par s’installer en Belgique ?

J’ai vécu en Inde, mais aussi en Chine, en Malaisie, et j’ai passé cinq ans aux États-Unis et au Canada. Pendant toutes ces années, je ne peux pas dire que j’avais un sentiment d’appartenance française…Tout au plus, je me sentais Européenne. Et puis je suis venue en Belgique en 2012-2013 et je m’y suis sentie très à la maison, j’ai tout de suite adoré les gens que j’ai rencontrés. Et après encore quelques années à bouger autour du monde, j’ai finalement j’ai rencontré la bonne personne.. et suis revenue en Belgique 🙂 

A Philippe Aerts : Comment le jazzman s’intègre-t-il  dans ce mélange culturel ?

Pour moi, j’apprends plein de choses. On joue à deux sans instrument harmonique, c’est génial car d’habitude avec la  basse si je n’ai pas de repère pour la justesse, c’est difficile; mais avec Raphaëlle, elle chante tellement juste que c’est facile. Quand on joue à deux, on est tous les deux à la fois soliste et accompagnateur, parfois c’est Raphaëlle qui joue la mélodie, parfois c’est moi et elle m’accompagne, c’est un mélange constant et on trouve une belle entente musicale. C’est comme deux lignes qui se croisent constamment, ça coule de source. 

Raphaëlle Brochet : « Ce qui est gai avec Philippe, c’est qu’on joue vraiment ensemble, il ne s’agit pas d’un soliste et d’un accompagnateur. »

Ensemble : « Et on a un projet d’enregistrement avec Igloo, on est super contents. »

Propos recueillis par Jean-Pierre Goffin