Rosario Giuliani, les connotations bleues
Les connotations bleues de Rosario Giuliani
Propos recueillis par Claude Loxhay (avec l’aide d’Angela Lia pour la traduction)
Photos de Jos Knaepen
En 1995, après plusieurs années de travail en studio, le saxophoniste italien a décidé de former son propre quartet et de se consacrer entièrement au jazz. Deux ans plus tard, il remportait l’Europe Jazz Contest d’Hoeilaart : ce qui lui a permis d’obtenir des engagements pour les festivals de Gouvy et de Jazz à Liège, mais aussi d’acquérir une véritable reconnaissance internationale, notamment auprès des pianistes Franco D’Andrea et Enrico Pieranunzi avec qui il a enregistré plusieurs albums. Si on a souvent comparé le fougueux saxophoniste alto à Cannonball Adderley ou Jackie Mc Lean, au travers de ses nombreux enregistrements, c’est, en fait, toute l’histoire du jazz moderne qu’il embrasse, de John Coltrane à Ornette Coleman ou Wayne Shorter. Après un passionnant concert dans le cadre du Rallye Jazz 04 (Liège), il a bien voulu retracer son riche parcours dans les confortables loges du Théâtre de Liège.
Vous êtes né en 1967 à Terracina, comment est venu votre attrait pour la musique et, en particulier, pour le jazz ?
Grâce à mon frère, il était passionné par un saxophoniste de musique commerciale. C’est lui qui a choisi l’instrument pour moi. J’étais un enfant turbulent, alors, vers dix ans, ma mère m’a traîné par l’oreille au cours de musique. Au départ, personnellement, je n’en avais pas envie, j’aimais mieux jouer dans la rue. Après quelques semaines, j’en ai été tellement enchanté que c’est devenu une véritable passion. J’ai d’abord joué dans la banda de Terracina, mon village natal puis un ami m’a appris à jouer du jazz et m’a fait découvrir Charlie Parker.
De 1982 à 87, vous avez suivi les cours au Conservatoire de Frosinone: avec quel professeur ?
Mon maître était Baldo Maestre, un grand professeur pour la musique comme pour la vie. Il était le premier saxophone contralto de la RAI. Il m’a appris à être un vrai professionnel. Après sa pension, pour les deux dernières années de mon cursus, j’ai eu un autre professeur, Alfredo Santoloci qui est devenu, par après, le directeur du Conservatoire Santa Cecilia à Rome où j’enseigne maintenant.
Enrico Pieranunzi n’a-t-il pas enseigné au Conservatoire de Frosinone ?
Si, il y a été professeur pendant plusieurs années, il enseignait le piano classique.
Quel était le répertoire enseigné à Frosinone ?
J’y ai étudié le saxophone classique, le jazz est arrivé plus tard. Je n’ai commencé le jazz qu’à 27 ans. En fait, j’ai d’abord joué un répertoire de musique classique, des compositeurs comme Jacques Ibert, ce qui a été une excellente base de travaiL
En 1995, vous avez fondé votre propre quartet…
Oui, avec Pietro Lussu au piano, Joseph Lepore à la contrebasse et Lorenzo Tucci à la batterie, un quartet avec lequel j’ai enregistré plusieurs albums et tourné pas mal.
Vous avez une grande admiration pour le jazz américain, vous couvrez un peu toute l’histoire du jazz moderne, alors que d’autres musiciens qui ont débuté aussi dans des bandas, comme Gianluigi Trovesi ou Pino Minafra, ont voulu prendre leur distance vis à vis du jazz américain pour se tourner vers une tradition authentiquement italienne (musique populaire de la tarentelle ou musique savante de l’opéra). Pourquoi cette option ?
C’est une question de choix. Pour moi, le jazz a de multiples facettes et chacun les emprunte à sa façon. Ma façon de voir la musique est de puiser chez tous les grands créateurs de l’histoire du jazz et non de me limiter à une époque.
Un prix qui vous a lancé, c’est en 1996 le Prix Massimo Urbani, un saxophoniste alto que vous avez sûrement dû apprécier: il a joué aussi bien avec Chet (album “Chet Baker in Italy”) qu’avec Enrico Pieranunzi et Art Farmer (“Isis”) ?
C’est incroyable, parce que Massimo, je l’ai écouté et rencontré au début, mais je n’ai pas eu l’opportunité d’étudier ou de jouer avec lui. C’était un musicien très cultivé et d’une grande sensibilité. Ce premier Prix a été, pour moi, comme un challenge, une façon de gagner une certaine confirmation. A cette époque, je travaillais pour la télévision, pour des orchestres de la RAI et de Media Sette. A un moment, j’en ai eu assez de ce travail en studio et j’ai arrêté pour me consacrer au jazz.
Une personne importante, à vos début, cela a sûrement été Paolo Piangiarelli qui vous a proposé d’enregistrer vos premiers albums pour le label Philology…
Paolo est un véritable ami. Pour Philology, j’ai enregistré 4 albums en tant que leader ou co-leader. En 1997, Live from Virginia Ranch, avec mon quartet et Duet for Trane avec Franco D’Andrea. En 1998, Connotazione Blue en référence à Blues Connotation d’Ornette Coleman mais aussi avec des thèmes de Dizzy Gillespie ou Kenny Barron et des compositions originales comme To John, et puis, Flasshing Lights avec des compositions originales. Pour Paolo, j’ai aussi enregistré un album avec Phil Woods et Franco D’Andrea, Dameronia, un hommage au pianiste Tadd Dameron.
Ces albums montrent que vous couvrez toute l’histoire d’une époque, de John Coltrane à Ornette Coleman ou Wayne Shorter…
Il faut expérimenter différents domaines, la musique, c’est un plat que tu cuisines, tu choisis les ingrédients. J’aime cuisiner et, si les casseroles, c’est toujours les mêmes, ce que tu mets dedans, c’est toujours différent. Il y a différentes façons de cuisiner, la musique doit avoir différentes saveurs, différentes couleurs.
Ces albums vous ont permis de rencontrer un grand pianiste Franco D’Andrea…
Franco est un grand professeur de musique qui met à votre service toute son expérience comme le fait aussi Enrico Pieranunzi. Ils vont tous les deux en profondeur dans leur manière d’aborder la musique, de creuser jusqu’au coeur de la musique. Ils appartiennent à deux générations différentes mais ils ont cela en commun.
Dans Flashing Lights, à côté de vos compositions personnelles, il y avait déjà une composition d’Enrico Pieranunzi, Hindsight, par la suite, vous avez enregistré plusieurs albums avec lui…
Enrico m’a appelé pour faire partie de son quartet, lorsque j’ai gagné l’Europe Jazz Contest d’Hoeilaart en 1997. Avec lui, j’ai d’abord enregistré Evans remembered, un hommage à Bill Evans, en 2001, avec Gabriele Mirabassi à la clarinette et Fabrizio Bosso à la trompette. Puis, en 2002, Les Amants et One lone star. Ensuite, en 2006, l’album Jazz Italiano Live au nom d’Enrico et, en 2007, un autre Jazz Italiano Live, à mon nom, avec Flavio Boltro à la trompette et Emanuele Cisi au ténor. Avec Fabrizio, qui jouait sur Evans remembered, j’ai aussi enregistré, il y a deux ans, le projet Golden Circle autour de la musique d’Ornette Coleman, pour un petit label italien, avec Enzo Pietrapaoli à la contrebasse et Marcelo di Leonardo à la batterie et puis son album Joyfull avec Dédé Ceccarelli à la batterie pour le label français Bonsaï.
A partir des années 2000, vous avez essentiellement enregistré pour le label français Dreyfus.
A partir de 1999, je me suis senti un peu à l’étroit en Italie. J’ai envoyé quelques mails aux labels européens les plus importants, je leur ai envoyé mes cédés. Après un mois, j’ai reçu une réponse de Francis Dreyfus. J’ai d’abord enregistré Luggage, en 2000, avec mon quartet: Pietro Lussu au piano, Pietro Ciancaglini à la contrebasse et Lorenzo Tucci à la batterie puis Mr Dodo toujours avec Pietro Lussu. Ensuite, j’ai enregistré More than ever avec Rémi Vignolo à la contrebasse et Benjamin Henocq à la batterie et, en invités, Richard Galliano (acc) et Jean-Michel Pilc (p); Anything Else, en quintet, avec Dado Moroni au piano et Flavio Boltro à la trompette; Lennie’s Pennies avec Pierre de Bethmann, Darryl Hall et Joe La Barbera et, enfin, en 2013, Images avec Joe Locke au vibraphone, Roberto Tarenzi au piano, John Patitucci à la contrebasse et toujours Joe La Barbera à la batterie. Images, c’est une belle histoire: toute la musique que j’ai écrite, je l’ai imaginée à partir de photos que j’ai faites autour du monde ou de photos des personnes qui ont été importantes dans ma vie. Chaque photo a un titre et le morceau prend ce titre. Chaque photo représente une période importante de ma vie. La composition Les deux doigts est, par exemple, dédiée à Francis Dreyfus parce que nous sommes proches comme les deux doigts de la main, une amitié très forte nous lie. Il y a aussi une composition dédiée à ma mère.
Vous avez croisé de grands pianiste Dado Moroni, Enrico Pieranunzi et Franco D’Andrea mais aussi Salvatore Bonafede…
Oui, pour Ortodoxia avec Fabrizio Bosso (tp), Pietro Ciancaglini (cb) et Roberto Gatto (dm). Salvatore est un grand musicien pas seulement un pianiste. Un compositeur avec une grande sensibilité, quelqu’un qui donne à ses morceaux le nom d’un musicien qui l’a inspiré comme Charles Mingus ou Enrico Rava.
Ici, à Liège, vous avez joué avec Mimi Verderame et Nicolas Thys. Comment les connaissiez-vous ?
Avec le quartet de Mimi, j’ai enregistré Game over, avec Eric Legnini au piano et, pour ce qui est de Nicolas, nous avons joué en trio ensemble, pour la première fois, à Dinant en février dernier mais avec un répertoire différent de celui d’aujourd’hui. Ce sont deux musiciens que j’apprécie beaucoup.
Comme musicien belge, vous avez aussi rencontré Bert Joris…
J’ai rencontré Bert Joris grâce à Enrico Pieranunzi, notamment à Umbria Jazz. J’ai aussi joué avec Daniel Romeo et Philip Catherine. La Belgique représente, pour moi, une période vraiment fondamentale, c’est l’Europe Jazz Contest qui m’a ouvert certaines portes. C’était la première fois que je sortais d’Italie. J’ai eu ainsi des engagements pour les festivals de Gouvy et de Jazz à Liège.
Vous avez d’autres projets ?
En février prochain, sortira un album avec Paolo Damiani (cello) pour Parco della Musica. Paolo est directeur du département jazz du Conservatoire Santa Cecilia de Rome et, en mai, un album de Joe Locke qu’il a enregistré avec moi à New York.
Prochains concerts du Rosario Giuliani Quartet en Belgique
13/11/2014 au Centre Culturel Saint Georges – rue Albert 1er, 18 à 4470 Saint-Georges s/Meuse
14/11/2014 & 15/11/2014 au Sounds Jazz Club, rue de la Tulipe, 28 à Bruxelles
avec Rosario Giuliani – alto sax Roberto Tarenzi – piano, Dario Deidda – contrebasse, Mimì Verderamme – batterie.