Stephen Altoft & Gilbert Isbin : Soundscapes

Stephen Altoft & Gilbert Isbin : Soundscapes

Jazz’Halo

N’attendez pas du guitariste Gilbert Isbin des mélodies ou des sonorités convenues. Même si ses compositions sont toujours ajustées avec une précision d’orfèvre qui les rend agréables à écouter, son univers à lui est fait d’harmonies insolites, de contrastes dynamiques et de dissonances lancinantes parfois produites par des techniques hétérodoxes. En conséquence, ses disques en solo ou en duo se révèlent à chaque fois aussi dépaysants qu’imprévisibles. Pour cet album, Gilbert s’est associé avec le trompettiste allemand Stephen Altoft, un autre arpenteur de territoires musicaux vierges dont l’intérêt pour les broderies sonores contemporaines coïncide bien avec celui de son complice flamand. Intitulé « Soundscapes », ce disque est le produit d’une collaboration à distance. Gilbert Isbin a composé des paysages sonores mêlant guitare et électronique qu’il a transmis à Stephen Altoft, ce dernier improvisant par-dessus des parties de trompette ou de bugle. L’ensemble a ensuite été mixé et présenté sur les réseaux sociaux, pièce après pièce, comme illustration sonore de splendides photographies prises par Marie-Anne Ver Eecke (qui a réalisé la pochette de cette édition digitale). Ce sont ces seize créations qui ont été rassemblées sur cet album d’une durée de près de 40 minutes.

Certains « soundscapes » (comme les numéros 1, 4, 6, 10 et 13) ont un très fort aspect « ambient », évoquant au moins par l’esprit la musique du trompettiste norvégien Arve Henriksen ou l’essence primitive/futuriste d’une autre collaboration célèbre : celle entre Brian Eno et Jon Hassell. Comme dans la « discreet music » d’Eno, les instruments sont détournés pour composer une fresque minimaliste qui procure une immédiate sensation de flottement. Les autres numéros, marqués par diverses bizarreries qui en font tout le prix, apportent une diversité bienvenue, que ce soit le « Soundscape 5 » aussi mystérieux que la bande sonore créée jadis par Bebe et Louis Baron pour le film « Planète Interdite » ou le « Soundscape 16 » hanté par les cris de spectres errant dans les limbes. Les 16 miniatures s’imbriquent les unes dans les autres sans temps mort, composant une architecture sonore des plus originales, parfois angoissante, parfois apaisante, mais toujours riche en émotion. C’est là tout le propre de l’art abstrait – symbolisé par les jeux d’eau et de lumière figés par la photographe – qui parvient à souligner les déchirures du monde sans pour autant en donner une description précise.

Pierre Dulieu