Tanja Feichtmair, Omnixus – Solo
Tania Feichtmair, Omnixus + Solo
Saxophoniste alto intéressante et improvisatrice/compositrice de talent, Tania Feichmair nous livre ici deux facettes de son art. “Omnixus” est une remarquable suite de 32’ pour quartet « de chambre » interprétée/ improvisée de manière superlative par Tania et trois musiciens californiens en tournée et enregistrée au Jazzatelier d’Ulrichsberg en mai 2009. Le pianiste Scott Looney, le contrebassiste Damon Smith et le violoncelliste Hugh Livingston participent à son élaboration avec énergie, intelligence et raffinement. Chaque musicien est soliste simultanément et en alternance, par petites touches et accents nets, hachures et sonorités altérées. Un belle imbrication de sons et d’actions qui stimulent l’écoute et l’interaction des musiciens. Le piano est sollicité dans les cordes avec des glissandi et des rebondissements au clavier, la contrebasse cimente et cisèle des coups d’archets qui s’élèvent dans l’espace, secondé par un violoncelle invisible et efficace, le tout sous la houlette de la saxophoniste qui marque les cadences tout en improvisant et sans se mettre en avant comme une soliste par dessus ses collègues. L’improvisation est ici véritablement collective, pleine de vie, de questions et de réponses inattendues. Chaque musicien a l’art d’anticiper, de faire silence, de répondre avec une nouvelle proposition, renforçant toujours plus l’intérêt de l’auditeur. Plusieurs mouvements se dessinent dans la durée en développant successivement plusieurs modes de jeux et approches sonores, motifs anguleux et dynamiques croisées tout en maintenant l’unité de l’oeuvre. Looney et Smith avaient construit à l’époque une véritable complicité, comme on peut l’entendre dans l’album “The Sale Of Tickets For Money Was Abolished” avec le saxophoniste basse Tony Bevan, un album étonnant. Les quatre marquent un point d’arrêt dans les 15 minutes après un crescendo énergique et enlevé pour introduire un mouvement recueilli – mélodie sombre et étirée du saxophone ceinturée d’ostinatos fugaces et de frottements soyeux des cordes et du piano dans la table d’harmonie. Le climat est changeant, le vent se lève par degrés savamment contrôlés avec de belles couleurs sonores et enchaîne avec le pianiste qui mène un moment la danse au clavier suivi par un contrechant du violoncelle, etc. Embardée, esquisse de marche, mouvement sériel… On n’a jamais le temps de s’ennuyer, et donc on réécoute volontiers cet Omnixus, un modèle du genre. Excellent moment de construction musicale collective. Deuxième volet, une série de six pièces en Solo conçues par Tanja Feichtmair où se révèle son véritable talent et une musique de saxophone originale, lyrique, subtile et pleine de détails, de nuances, de cadences variées. Assez proche par l’esprit de Roscoe Mitchell. Ces solos ont été captés au Miles Smiles de Vienne en novembre 2011. La démarche de réunir deux projets différents pourrait sembler disparate. Mais à quoi bon allonger la sauce quand les 32 minutes magistrales d’Omnixus se suffisent à elle même et contrastent agréablement avec les quarante minutes des solos qui font en fait jeu égal avec la durée d’un long playing, comme le génial Solo Saxophone Live In Moers de Braxton en 1974 (Ring Records). Question contenu musical, elle est à la hauteur de son brillant aîné. Tania excelle dans le maniement des techniques de jeu du saxophone basé sur l’articulation, les coups de langue et des nombreux effets sonores et colorations, avec impulsions et résonances, partageant ses émotions au plus près de sa sensibilité intérieure. Son sens du rythme exact et précis fait merveille. Bref une excellente parution tout à fait justifiée qui confirme et surpasse même Trio Now ! paru chez Leo.
Jean-Michel Van Schouwburg