Vous faites de la musique ? l’interview hors-champ de JazzMania
Dans nos intérêts généraux, il n’y a pas que la culture… Dans la culture, il n’y a pas que la musique… Et dans la musique, il n’y a pas que le jazz ! Episodiquement, nous vous soumettrons l’interview d’un personnage hors-champ, peut-être pas célèbre, mais surtout… qui ne fait pas de la musique (ou si peu…).
Philippe Marczewski : tchacatchac tchacatchac tchacatchacatchacatchac (1/2)
C’est l’auteur liégeois Philippe Marczewski qui démarre cette série… En deux temps.
«Qu’importe la ville en fait… Je ne voulais pas, en qualité d’écrivain liégeois, écrire un récit pour les Liégeois.»
Premier livre : « Blues pour trois tombes et un fantôme ». Tu racontes ta ville, ton passé aussi, un peu… C’était important pour toi de démarrer cette carrière d’écrivain en précisant le contexte, ton lieu de vie, tes origines ?
Philippe Marczewski : En fait, ce récit est un hasard. Je travaillais à l’écriture d’un roman qui devait être publié aux Editions Inculte. Ils souhaitaient par ailleurs relancer la publication d’un magazine portant le même nom… Avec un thème : « l’écriture dans la ville ». Or, cela faisait longtemps que j’envisageais d’écrire un texte décrivant un parcours à Liège, de l’extrême Sud au Nord. Liège ville méridionale, une balade littéraire. Je leur ai envoyé un texte (« Du sud au nord, une ornière » – NDLR). Plus tard, l’éditeur m’a demandé de poursuivre sur cette voie plutôt que de continuer à travailler sur ce premier roman qui ne nous satisfaisait pas… J’ai alors écrit d’autres textes qui ont formé « Blues pour trois tombes et un fantôme ».
Un livre qui devrait être lu par chaque Liégeois curieux d’en savoir un peu plus sur sa ville, géographiquement, historiquement et … humainement !
P.M. : Ce n’est pas le but… Qu’importe la ville en fait. Je ne voulais pas, en qualité d’écrivain liégeois, écrire un récit pour les Liégeois… L’éditeur est parisien, ses livres sont distribués en Francophonie…
Comment ce livre est-il perçu en dehors de la Région liégeoise ?
P.M. : La perception est différente… Bien sûr, proportionnellement, c’est à Liège qu’il s’est le mieux vendu. Mais je n’ai pas la prétention d’écrire un livre à la place des Liégeois. Je ne parle qu’en mon nom et selon mon point de vue…
««Blues pour trois tombes et un fantôme» n’est pas un guide touristique. Il n’a pas pour vocation d’attirer des gens à Liège ou de les en éloigner…»
Quand on démarre une carrière d’écrivain, ne faut-il pas d’abord parler de ce qui nous touche personnellement ?
P.M. : Non, je ne pense pas. Ce qui aurait dû être mon premier roman était très détaché de moi. Je ne suis pas nécessairement le personnage de mes textes… La ville de Liège n’est qu’un prétexte pour parler de mélancolie, de ce que l’on vit dans une ville semblable… C’est pour cela d’ailleurs que le livre démarre dans une autre ville (Sheffield – NDLR). Tout citadin peut s’y retrouver un peu. « Blues pour trois tombes et un fantôme » n’est pas un guide touristique. Il n’a pas pour vocation d’attirer des gens à Liège ou de les en éloigner…
Tu y parles de tes origines, de tes ancêtres. Avec une approche très humaine de la ville.
P.M. : En soi, la ville n’existe pas… Une ville, c’est le résultat d’une histoire ou de l’histoire de ceux qui y habitent ou qui la fréquentent. A Liège, avec la banlieue, ça représente quotidiennement un million de personnes… Un million de perceptions différentes, selon le quartier que l’on habite ou selon l’endroit d’où on vient. Un million de villes différentes…
J’ignorais jusqu’il y a peu que le récit avait fait l’objet d’un spectacle…
P.M. : Oui, il s’agit d’une lecture. Une commande du Centre Wallonie-Bruxelles, à Paris. Je pouvais inviter un musicien. J’ai choisi Greg Houben, mais il souhaitait être accompagné par un autre musicien… Quentin Dujardin s’est joint au projet. Malheureusement, nous n’avons eu l’occasion de jouer ce spectacle qu’une seule fois… Une seconde lecture devait avoir lieu au Théâtre de Liège, mais elle a été reportée à cause de la pandémie. J’espère que cela se fera un jour…
Avec « Un corps tropical », ton premier roman, on quitte la grisaille liégeoise pour les Tropiques… Tu n’as pas peur de nous faire subir un choc thermique ?
P.M. : Non, tant mieux… (rires)
«Il suffit de voir la détresse que vivent pas mal de gens pour se rendre compte qu’une ville n’est pas «chaleureuse».»
C’est voulu, ce contraste entre une ville du Nord (chaleureuse) et l’aventure tropicale (avec ton personnage qui rencontre des gens peu recommandables) ?
P.M. : Non, pas du tout… Il s’agit de deux livres fondamentalement différents et indépendants. « Corps tropical » est une fiction. S’il y a un peu de fiction dans « Blues pour trois tombes et un fantôme », elle se trouve noyée dans l’ensemble. Je ne dis pas et je ne pense pas spécialement que Liège soit une ville chaleureuse. On y connaît une ambiance particulière, mais il suffit de voir la détresse que vivent pas mal de gens pour se rendre compte que la ville n’est pas « chaleureuse ». En Amérique du Sud comme ici, tu rencontres aussi des gens chaleureux… ou pas. Ceux que je mets en scène dans « Un corps tropical » naissent surtout dans l’imagination de mon personnage principal. « Un corps tropical » reflète ce qu’est une aventure aujourd’hui, au 21ième siècle. Les voyages et la communication ont pris de la vitesse. Mon personnage vit une aventure avec ses péripéties en quelques jours, alors que cela lui aurait pris six mois il y a cent ou deux-cents ans… C’est notre perception du voyage et de l’aventure qui est représentée ici…
Ton personnage central est une sorte de sans-grade au niveau professionnel mais aussi dans sa vie privée. Tu sembles plus apprécier ce type de personnes aux prétentieux et aux arrivistes.
P.M. : Oui, certainement. Mais je ne le traduis pas de la même façon dans les deux livres. Pour « Blues pour trois tombes et un fantôme », ce sont les gens qui ont fait l’histoire de la ville comme on la connaît aujourd’hui qui m’intéressent. Bien souvent des anonymes dont on a perdu la trace. Et quelques bourgeois aussi. Le personnage principal de « Un corps tropical » est un homme candide. Il maîtrise peu de choses. Et il ne résiste pas. Notamment quand il se passionne pour la vie tropicale. Il tire sur une ficelle, mais on ne sait plus très bien si c’est lui qui tire ou si c’est la ficelle qui l’attire à elle. C’est facile de se moquer d’un prétentieux. J’ai préféré utiliser un personnage qui suscite la sympathie, un homme sans histoire, qui se met lui-même dans des situations un peu ridicules. Cet homme n’est pas préparé pour vivre l’aventure que je lui impose. Mais il vit une aventure que peu de gens vivront un jour.
«Dans le milieu littéraire, j’ai rencontré des gens qui se prennent pour Arthur Rimbaud parce qu’ils ont écrit trois livres…»
Avant de te lancer dans l’aventure littéraire, comme libraire d’abord, tu as travaillé dans le milieu scientifique. As-tu quitté les sciences parce que ce milieu-là regorge de prétentieux ?
P.M. : (il sourit) Le milieu littéraire est beaucoup plus prétentieux que le milieu de la recherche… De très loin ! J’ai été un jeune chercheur pendant quelques années (en neuropsychologie cognitive – NDLR), et j’ai eu la chance et le privilège de travailler dans des laboratoires avec des scientifiques qui sont devenus des sommités mondiales. Ces gens-là ont des salaires exorbitants mais ils restent humbles et dépourvus de toute prétention. Par contre, dans le milieu littéraire, j’ai rencontré des gens qui, parce que leur librairie fonctionne bien, ou parce qu’ils ont écrit trois livres, voire un livre à compte d’auteur qu’ils ont pré-publié chez Amazone, se prennent pour Arthur Rimbaud…
Il n’y a pas que dans la littérature…
P.M. : Non, sans doute… Mais quand tu es étiqueté « auteur », tu bénéficies d’un statut qu’aucun chercheur ne pourra obtenir. La reconnaissance du chercheur est totalement nulle… voire négative.
Pourquoi avoir cessé le métier de libraire ?
P.M. : J’avais fait mon temps… Je pensais d’ailleurs arrêter bien avant.
Ça t’aide pour ta carrière d’écrivain ?
P.M. : En tant que libraire, tu vois passer des milliers de livres. Plus que ce que tu ne pourrais en lire sur toute une vie. J’en feuilletais beaucoup, quelques pages… Ce qui m’a permis de peaufiner mon jugement, de mieux me situer parmi tous ces écrivains. Je me suis fait une idée générale de la littérature. Je sais ce qui peut marcher ou pas… Même si l’objectif en ce qui me concerne ne se situe pas là…
«L’imaginaire est doux, la réalité est brutale. Il faut de l’humour pour développer ce contraste.»
Tu utilises l’humour, un humour qui petit à petit dérape… En avançant dans le roman, le blues gagne du terrain…
P.M. : En effet : je ne suis pas très optimiste… Sinon pour moi-même et mes proches. Dans un texte, j’aime assumer la noirceur de mon personnage, la surligner… Sans tomber pour autant dans le mélo… Dans « Un corps tropical », à partir du moment où le personnage s’éloignait de son imagination, il était clair qu’il allait connaître des situations brutales. Car l’imaginaire est doux, la réalité est brutale. Il faut utiliser l’humour pour développer ce contraste. J’aime tromper le lecteur, le mettre en confiance. Il perçoit la noirceur de la situation petit à petit. Je souhaitais travailler sur le concept de l’aventure. Qu’est-ce qu’une aventure aujourd’hui ? En fait, l’aventure n’existe plus. Il n’y a plus d’explorateurs, seulement quelques exploits…
La suite de l’interview (Philippe Marczewski et le jazz, sa collection de disques, les musiques sud-américaines, …) sera publiée sur le site de JazzMania ce dimanche 17 octobre.
Philippe Marczewski
Un corps tropical
Éditions Inculte