Wadada Leo Smith : Trumpet
S’il fallait définir tout l’aspect spirituel de la musique de Wadada Leo Smith, il serait sans doute contenu dans ce coffret « Trumpet » que le label finlandais Tum Records nous propose à l’occasion des 80 ans du trompettiste. Spirituel pour de nombreuses raisons ; pas seulement parce que ce récital a été capté dans une église. Davantage sans doute parce que les thèmes choisis par Wadada Leo Smith, ses influences fortes, sont dictés par une forme de mysticisme. « Albert Ayler », sans doute, qui ouvre le premier disque avec toute la clarté dont est capable la trompette. C’est aussi le cas du magnifique « Leroy Jenkins Violin Expressions », comme une marche mélancolique où chaque note est comptée, l’hommage à un vieux camarade. Deux morceaux pénétrants, sans heurt mais solaires qui, pour une large part, donnent le ton d’un long voyage introspectif que, même en disque, on réalise en plein recueillement.
C’est toute l’atmosphère de la suite « Discurses on The Sufi Path », où la trompette s’offre le temps, caresse le silence grâce au léger écho qu’offre la St Mary Church de Pohja, petite ville dans les découpes de la Baltique, entre Helsinki et Turku, où l’église est contemporaine de la découverte de l’Amérique. C’est l’écrin idéal pour que la musique de Smith échappe au temps et agrippe l’auditeur passionnément, sans jamais le lâcher. Du soufisme, Wadada Leo Smith a gardé l’élévation spirituelle et un certain ésotérisme. Le goût pour le mouvement aussi ; il peut être lent, imperceptible, ça ne le rend que plus majestueux. C’est sans doute toute la force du très court « Unselfish Love, the Love of God for Humankind » qui se résume parfois à une seule note tenue, mais aussi ténue, qui s’effiloche comme une avalanche infime, une traduction musicale du Mandala bouddhique, une ode à l’éphémère. Wadada réfute tout usage de l’improvisation. Sa musique est construite, comme son discours. Il prend racine dans une culture immense, livresque, et s’installe spontanément, à l’instar de cette belle évocation du « Rashomon » de Kurosawa. Affaire de conscience et vision kaléidoscopique, sondage en profondeur de l’âme humaine, cette œuvre est emblématique des préoccupations du soliste. Il en tire une œuvre dont la beauté est toujours sur un fil, sans jamais s’empeser de certitudes ou de facilités (« Rashomon Part 2. the Killing »), avec un calcul de gestes et un recul qui tient de la sagesse et non de la prudence. De toutes ces contingences, le trompettiste est libéré depuis longtemps.
La vieille structure en bois de l’église finlandaise, symbole d’un éphémère qui s’inscrit dans le temps long, qui tient tête aux éléments a nécessairement nourri le discours de Wadada Leo Smith. Mais il est chez lui partout, simplement le timbre s’en trouve magnifié, joliment ambré, brillant dans toutes les acceptions du terme. Il contient toutes les colères et toutes les passions du trompettiste, à l’instar de ce « No Name in the Street ; War », dédié à James Baldwin, l’instant le plus nerveux de ce coffret précieux : une colère rentrée, d’autant plus féroce qu’elle est essentiellement contemplative. Ce n’est pas revendicatif, puisque les idées s’imposent sans bousculade, avec un soin particulier à ce que tout soit au bon endroit, au bon moment. Pour les 80 ans de Wadada Leo Smith, on ne pouvait imaginer plus beau cadeau. Et c’est nous qui le recevons.
Une collaboration Citizen Jazz / JazzMania
L’interview de Wadada Leo Smith sera publiée ce mercredi sur le site de JazzMania.