Wolfgang Muthspiel : le jeu de l’instant

Wolfgang Muthspiel : le jeu de l’instant

Wolfgang Muthspiel présente son deuxième album en trio avec Scott Colley et Brian Blade à Flagey le 17 octobre. L’occasion d’en parler avec le guitariste.

Wolfgang Muthspiel © Zuzanna Gasirowska / ECM

Le titre de votre nouvel album est « Dance of the Elders », mais qui sont ces « elders » ?
Wolfgang Muthspiel : Eh bien, ça pourrait être nous, les musiciens de cet album, mais quand je l’ai écrit, le titre évoquait à la base un groupe de personnes plus âgées en train de danser sur un square en Roumanie ou ailleurs, parce que c’est la sorte de métrique impaire, de tempo medium, de danse où je peux voir tous les corps bouger.

Est-ce la raison pour laquelle il y a des claquements de mains sur le morceau ? Et est-ce improvisé ?
W.M. : Ce n’est peut-être pas la raison : le « hand-clapping » confirme la danse, mais c’est quelque chose qui est venu plus tard. Par contre, cette séquence est fixe, seule la partie de Brian Blade est improvisée. La plupart du temps est en 5/8, mais il y a une partie en loop qui ne l’est pas. C’est plus ou moins la base des seize premières mesures du morceau (il chante les premières mesures) et le claquement de mains reprend ce thème. C’est amusant parce que quand on est en concert et que je commence à taper dans les mains, le public le fait aussi, mais ils ne connaissent pas le petit décalage dans le thème, et ça ne fonctionne pas, même pour les personnes qui ont une bonne oreille musicale. Et c’est compliqué pour moi de tenir la cadence quand le public frappe dans les mains, c’est marrant.

Sur vos deux disques en trio, il y a beaucoup d’influences différentes : des standards du jazz, de la musique folk, Bach, Joni Mitchell… D’où viennent toutes ces inspirations ?
W.M. : C’est comme un aperçu biographique de ma vie. La musique classique et la musique folk surtout ; mon père jouait de la musique folk et il était aussi en tant qu’amateur le directeur d’un chœur. Enfant, j’ai surtout entendu de la musique folk, de la musique calme, ancienne, de la Renaissance. Dans notre collection de disques à la maison, il y avait trois disques non classiques : Billy Joel, des chansons… mais en tout cas pas de jazz. Mon père était obsédé par la musique classique. Ma trajectoire dans le jazz est arrivée plus tard quand j’avais treize à quinze ans. Mon premier instrument a été le violon, puis la guitare, d’abord en musique classique, et je savais déjà fort bien jouer quand j’ai découvert le jazz.

«Mon premier grand héros a été Pat Metheny. Je l’adore toujours.»

Quels sont les premiers guitaristes de jazz que vous ayez écoutés ?
W.M. : Mon premier grand héros a été Pat Metheny, et je l’adore toujours. Il a été une énorme influence. D’un autre côté, pour la guitare acoustique, c’est Ralph Towner. Ce sont ces deux musiciens qui étaient sur le même label, qui m’ont ouvert des portes et fait découvrir le monde ECM. J’ai ensuite mordu à la musique de Keith Jarrett, Dave Holland, Kenny Wheeler etc, etc. Tous ces grands artistes du label. Plus tard est venue la découverte du jazz plus ancien. À vingt ans, j’ai décidé de partir aux États-Unis pour étudier et m’immerger dans le lieu d’où cette musique vient. Mon voyage musical a été très diversifié, et tout cela se trouve encore dans ma musique aujourd’hui.

Wolfgang Muthspiel © Zuzanna Gasirowska / ECM

Quant à l’instrument, vous n’avez jamais tranché entre la guitare électrique et acoustique.
W.M. : Sur ce disque, c’est plus de la guitare acoustique qu’électrique. Ça doit être le premier album où c’est le cas.

Vous utilisez des guitares fabriquées spécialement pour vous. Quelles sont les qualités que vous attendez de vos guitares ?
W.M. : J’ai rencontré deux personnes qui ont fabriqué mes guitares. L’un d’entre eux est un luthier italien appelé Domenico Moffa, il vit à Pescara. Il était à l’origine fabricant de violons, puis il a commencé à faire des guitares électriques. Et il m’a un jour écrit qu’il était en train de me fabriquer une guitare ! Bien, j’ai trouvé ça intéressant, mais je ne le connaissais pas, je trouvais ça un peu suspect. Je suis allé à Pescara et j’ai découvert un artisan qui avait une longue liste d’attente… J’ai pris la guitare et je l’ai adorée et il m’a dit l’avoir fabriquée en écoutant ma musique. C’est la guitare que j’utilise et je pense que sa qualité que je préfère est qu’elle est fabriquée avec l’esprit de quelqu’un qui fait aussi des guitares acoustiques : elle répond très vite, elle a beaucoup de dynamique. Certaines guitares électriques, même dans les meilleures, donnent l’impression qu’il y a un compresseur dedans, quelque chose d’uniforme, celle-ci sonne presque comme de la musique de chambre. Pour la guitare acoustique, j’utilise l’instrument d’un incroyable luthier australien, Jim Redgate que j’ai rencontré lors d’une tournée en Australie avec Ralph Towner et Slava Grigoryan, nous avons sorti un album ECM avec ce trio. Nous utilisons tous les trois des guitares de ce luthier, des guitares faciles à jouer, acoustiquement fortes et claires. Quand j’ai débuté, en musique classique, j’ai joué avec un instrument très bon, mais difficile à jouer; la guitare acoustique a énormément progressé ces vingt dernières années et a vraiment explosé depuis lors.

Vous jouez depuis une quinzaine d’années avec Brian Blade, quelles sont les qualités que vous appréciez chez lui ?
W.M. : Je crois qu’il y a plus de vingt ans que je joue avec lui. Brian Blade incarne la conscience totale sur le moment, quand il joue, mais aussi quand il ne joue pas. C’est vraiment être présent à tout moment, et c’est l’état d’esprit parfait pour faire de la musique, particulièrement du jazz. Il n’y a pas d’« agenda » dans sa musique : nous jouons la musique comme maintenant, et pas comme nous l’avons jouée hier. Ce genre d’ouverture au moment, de répondre à ce qu’il entend autour de lui, est quelque chose qui rend la musique meilleure.

Muthspiel, Blade & Colley © Nino Fernandez / ECM

«L’alchimie entre mes deux musiciens est quelque chose d’énorme pour moi.»

Vous ressentez cela avec Scott Colley aussi ?
W.M. : Tout à fait ! Je me sens très branché avec lui. En tant que contrebassiste, je trouve chez lui une voix très personnelle. J’ai beaucoup joué avec Larry Grenadier qui a un jeu très personnel, mais différent. Mais Scott et Brian ont déjà été partenaires dans d’autres projets et il y a une entente idéale entre eux. L’alchimie entre les deux est quelque chose d’énorme pour moi. J’adore, c’est un luxe ! Vous pouvez jouer une chanson difficile ou simple et vous pouvez être totalement libre avec eux, décider dès les premières notes d’un concert de jouer de façon improvisée et ça marche. Vous pouvez jouer tous les standards, tout ce que vous voulez… J’ai de la chance de jouer avec eux.

Jouer « Liebeslied » avec un tempo bebop, est-ce le souvenir de ce morceau que vous avez appris à Berklee ?
W.M. : Peut-être. Je l’ai appris là-bas avec ce merveilleux professeur qu’est Herb Pomeroy, un arrangeur d’exception. Quand j’ai choisi ce morceau pour le disque, je n’y ai pas pensé, je l’ai joué tant de fois avec des tempos différents. C’est juste un morceau que j’aime parce que les harmonies sont très intelligentes. Il y a beaucoup de raffinement, de subtilité dans ce morceau et une bonne chanson peut être jouée sur n’importe quel tempo en gardant toute son intégrité. C’est un des grands standards pour moi.

«J’aimerais jouer sur scène comme si c’était un enregistrement, et en studio comme si c’était un concert…»

Pourquoi un titre de Joni Mitchell ?
W.M. : Elle a avant tout été une de mes héroïnes, mais elle a aussi été, je pense, ma toute première écoute d’une musique reliée au jazz, l’album « Shadows and Light » où elle joue avec de nombreux musiciens de jazz, ça a été la découverte de Brecker et Jaco Pastorius, je connaissais déjà Pat (Metheny). Sa façon de chanter et de délivrer le texte, sa manière de diriger le groupe apparemment sans effort et la façon dont elle introduit l’improvisation dans ses chansons. Elle a toujours été pour moi une source d’inspiration, de lumière. Il y a aussi la connexion de Brian Blade qui a joué sur plusieurs de ses albums. En fait, nous sommes tous les trois fans de Joni, et c’était une façon de l’honorer à travers une chanson que nous aimons beaucoup.

Il y a aussi cette pièce de Bach, qui devient de plus en plus présent dans le jazz.
W.M. : J’ai joué ce morceau comme je m’en souvenais. C’est un choral de « la Passion de Saint Mathieu ». Je me suis souvenu de cette partition qui n’est pas écrite pour guitare ou luth, je l’ai jouée comme elle me revenait dans ma tête, mais je n’improvise pas, je joue simplement la mélodie. C’est quelque chose que je n’ai jamais joué en concert. Je l’ai joué de façon très spontanée. En studio, ce thème de Bach m’a traversé l’esprit après une improvisation et je l’ai repris. Je n’ai fait que l’insérer dans l’environnement musical du moment.

Dans quelle mesure votre état d’esprit est-il différent quand vous êtes en studio ou quand vous êtes sur scène ?
W.M. : J’aimerais qu’il n’y ait pas de différence. J’aimerais jouer sur scène comme si c’était un enregistrement, et en studio comme si c’était un concert. Ce serait mon but.

Et vous pensez y arriver ?
W.M. : J’ai en tout cas la chance d’avoir de nombreuses possibilités d’y arriver !

Wolfgang Muthspiel, Scott Colley et Brian Blade seront à Flagey le 17 octobre.

Wolfgang Muthspiel Trio
Dance of the Elders
ECM / Outhere

Chronique JazzMania

Propos recueillis par Jean-Pierre Goffin