Martin Salemi  « About Time » : il était grand temps !

Martin Salemi « About Time » : il était grand temps !

Un deuxième album enregistré pour le compte du label Igloo… Alors que quelques rendez-vous se profilent en salles dans les semaines qui arrivent, voici deux bonnes raisons de questionner le pianiste bruxellois.

Martin Salemi © Robert Hansenne
Martin Salemi © Robert Hansenne

Le titre « About Time » peut être interprété comme celui d’un album consacré au temps en musique, mais aussi à l’expression anglaise « About Time ».
Martin Salemi : C’est un peu des deux. Je donne des titres qui sont liés au temps, au temps qui passe, au temps présent. C’est quelque chose qui revient dans mon esprit. Je trouvais ça intéressant de partir sur ce thème dans le disque. Et puis, il y a aussi l’expression anglaise « It’s about time » ( = il est (grand) temps) qui fait référence au fait que le disque et la tournée ont été repoussés à cause des circonstances sanitaires, tout comme plein d’autres choses d’ailleurs. On a longtemps attendu que la culture rouvre , c’est un peu à double sens.

Le lien entre le « Time » du titre de l’album et « Remembered » en ouverture me fait penser à Bill Evans et à sa composition « Time Remebered ». Il t’a influencé ?
M.S. : Ah non! Je n’ai pas pensé à ça, c’est marrant ! Bien sûr qu’il y a toujours Bill dans l’esprit, c’est dur d’y échapper. Ce n’est pas le pianiste que j’ai le plus écouté ces dernières années, mais c’est clair que c’est une référence. Je pense à l’album « You Must Believe in Spring » : c’est le disque de lui auquel je retourne le plus, avec celui avec Toots, « Affinity ». Mais je pourrais en citer d’autres comme le duo avec Jim Hall. Ça reste une énorme influence même si ces dernières années ce n’est pas celui que j’écoute le plus.

«Dans les pianistes un peu plus spécifiques, je dirais que je suis fort marqué par Stefano Bollani.»

Et Brad Mehldau ?
M.S. : C’est aussi presque un grand classique, dans sa manière de jouer, d’arranger les morceaux, son son. Dans les pianistes un peu plus spécifiques, je dirais que je suis fort marqué par Stefano Bollani qui a un son de pianiste classique , un peu comme Gonzalo Rubalcaba, des musiciens qui sont capables d’exposer des choses très classiques ou complètement explosées. Ils sont aussi virtuoses de façon incroyable et tout aussi contrôlés à d’autres moments. Ces trios m’ont marqué pour le son et le phrasé qui ont quelque chose de plus classique. Chez Rubalcaba, on sent qu’il joue du Chopin toute la journée. Mais il y en a d’autres comme ça, comme Diederik Wissels. J’ai découvert son disque hommage à Charlie Haden avec des compositions de Charlie et des morceaux qu’il jouait souvent, c’est magnifique.

«J’adore Bach, je joue du Bach tous les matins, pour le plaisir et la technique.»

Il y a aussi le lien avec Bach, on sent le contrepoint qui revient dans ta musique.
M.S. : J’adore Bach, je joue du Bach tous les matins, pour le plaisir, pour la technique. Comment arrive-t-il avec deux ou trois notes à créer autant de mouvement. Ça déteint un peu de manière non consciente sur ma musique. Sûrement, cela m’imprègne.

«Dans un premier album, on veut mettre en avant un peu toutes ses influences.»

« About Time » est un disque de ballades, assez différent du précédent.
M.S. : Oui, je trouve. J’avais encore deux ou trois morceaux en plus enregistrés et en les réécoutant, je me suis dit qu’on gagnerait en variété si je les mettais dans l’album, mais qu’on perdrait en cohésion, et j’ai opté pour ce dernier choix. Il y a un disque de Stefano Bollani chez ECM, « Stone in the Water » qui est un disque de ballades avec quelques petits moments plus groove. Et j’avais vraiment envie d’un disque où le son, l’atmosphère soient vraiment reconnaissables. Ça contraste avec le premier, où, comme c’est souvent le cas pour un premier disque, on veut mettre en avant un peu toutes ses influences, les différentes facettes de ses compositions. J’ai moins été poussé par ces facettes pour celui-ci.

«J’ai toujours essayé de ne pas mettre deux heures pour dire quelque chose que l’on peut dire en une heure…»

Ce qui explique la durée de l’album.
M.S. : J’ai toujours essayé, déjà dans le premier disque, de ne pas donner des versions trop longues des morceaux, d’être concis, de ne pas prendre deux heures pour dire quelque chose qu’on peut dire en une heure, et ici en 37 minutes. Je pense qu’on aurait perdu en cohésion si j’avais ajouté deux morceaux. De façon plus anecdotique, il y a aussi l’idée de le sortir en vinyle, et la durée convient mieux. Il y a un disque que j’écoute ces moments-ci d’Aaron Parks qui est très long, et je l’écoute par morceaux…mais j’aime écouter en entier un disque.

Peut-on parler d’album concept ?
M.S. : Oui, je crois que c’est vraiment ce que j’ai cherché. Ça n’a pas été facile de ne pas mettre ces deux morceaux plus rapides, mais je les garde pour un prochain album.

Martin Salemi Trio © Vincent Blairon

«On a enregistré en live, dans une pièce, sans casque, pour avoir le plus de connexions possible.»

C’est un trio avec beaucoup de passages en dialogue, notamment la connivence piano – contrebasse sur « One Fine Day ». Du coup le batteur est très actif aux balais.
M.S. : Je trouve ça très juste. On a enregistré en live, dans une pièce, sans casque comme à la maison pour avoir le plus de connexions possible. Je crois que ça se ressent dans ce qu’on joue et dans la qualité du son. Vincent De Bast a fait un remarquable travail sur le son, il a su mettre sa patte, capter le son du moment. Et le fait de jouer dans une seule pièce oblige Daniel, à la batterie, de jouer plus sur les nuances. Ce n’est pas une chose qu’on peut reproduire dans toutes les situations. J’ai mis du temps pour choisir le studio Gam à Waimes. Ça nous pousse à jouer en nous écoutant à 100% et Daniel à jouer soft, avec un son très acoustique.

«Je doute souvent de plein de choses, douter, c’est un bon signe !»

« Doubt », le doute, c’est quelque chose qui te concerne ?
M.S. : C’est tout à fait ça. Je remarque que je doute souvent de plein de choses, au niveau artistique, mais aussi dans la vie…et c’est assez fatigant. J’essaie d’alterner les phases où je choisis une direction et je fonce, puis je me pose des questions. La seule chose dont je pense être sûr, c’est que douter est un bon signe. C’est ce que je me dis pour me réconforter, ce morceau est un peu une ode au doute. Un prof du Conservatoire de Liège disait que lors de la création d’une composition, on doutait souvent, mais que c’était un signe positif.

Martin Salemi
About Time
Igloo

Chronique JazzMania

Martin Salemi Trio en concert : Jünglingshaus (Eupen) le 6 novembre, Jazz9 (Mazy) le 13 novembre, Le Rideau Rouge (Lasne) le 17 novembre, Open Music (Comines) le 18 novembre et l’An Vert (Liège) le 19 novembre.

Propos recueillis par Jean-Pierre Goffin