Manuel Hermia : Freetet

Manuel Hermia : Freetet

Igloo

Après avoir fait partie de l’Orchestra Nazionale della Luna avec le claviériste finlandais Kari Ikonen (premier album en 2016 puis « There’s Still Live on Earth » en 2020) et d’un trio franco-belge avec le violoncelliste Valentin Ceccaldi et le percussionniste Sylvain Darrifourcq (« God at the Casino », « Kaiju Eats Cheeseburgers »), Manuel Hermia a décidé de rejouer avec la rythmique de l’album « Austerity, and what about Rage », soit le contrebassiste sarde Manolo Cabras et le percussionniste portugais Joao Lobo. Puis aussi de revenir à la thématique de « Austerity » : une révolte face à la société consumériste actuelle. « En 2021, face au capitalisme sauvage, à l’urgence écologique, à l’intelligence artificielle, à tant de disruptions engendrant des changements trop rapides… Quel sens peut avoir le mot « liberté » ? Le jazz a toujours constitué un vrai modèle social en terme de prise de liberté. » (notes de livret).

Pour ce nouveau projet, Manu Hermia a opté pour le quintet à trois souffleurs. Aux côtés de ses saxophones alto et ténor, à la trompette, Jean-Paul Estiévenart dont on ne compte plus les sollicitations : Urbex d’Antoine Pierre, Gros Cube du Français Alban Darche, MikMâäk, Rêve d’éléphant Orchestra, Jazz Station Big Band, sans compter ses albums personnels (« Wanted » avec l’Espagnol Perico Sambeat en invité, « Behind the Darkness » et « Strange Bird » avec le Français Romain Pilon à la guitare). Au trombone le Suisse Samuel Blaser, qui a étudié au College Conservatory of Music de New York. Basé à Berlin depuis 2009, il a beaucoup joué avec le guitariste français Marc Ducret (album « Voyageurs » en duo, « Moods » en quartet). Il a fait partie de Vienna Art Orchestra comme du trio Humair/ Kanzig/ Blaser et a beaucoup joué en duo, avec le percussionniste suisse Pierre Favre ou l’Américain Gerry Hemingway.

Tout au long de l’album, Manu Hermia est parti « à la recherche d’un point d’équilibre musical entre une liberté individuelle et collective ». De l’interactivité entre les individualités, peuvent naître des strates mélodiques jouées en commun. C’est le cas de « Serial Joker » qui ouvre l’album. Après un beau passage de walking basse, trompette bouchée à la sonorité ouatée, trombone aux tonalités plus graves et puis saxophone se succèdent individuellement mais avec une interactivité d’où émerge une mélodie jouée en commun. Au répertoire, huit compositions originales et la reprise de « Le Temps des cerises », chant de la Commune de Paris, qui est traité comme un hymne presque solennel, un peu à la manière de ce que Charlie Haden avait fait avec son Liberation Music Orchestra pour sa reprise des chants révolutionnaires espagnols de l’époque de la guerre civile (« The ballad of the Fallen »). Manu Hermia s’inscrit ici dans une démarche à orientation « free », mais sans succession de rythmes endiablés ou de sonorités stridentes, à la différence du trio avec Darrifourcq et Ceccaldi. Si « Ze Theme », dédié à la composition de Miles, se développe sur un tempo effréné avec saxophone alto voltigeur, d’autres compositions se déploient sur des rythmes plus apaisés, comme « Schisms » ou « Hidden Codes », avec beau passage de trombone et trompette bouchée. Ou ce « Stuck Between those We Love » qui se développe comme un semblant de ballade. La rythmique est largement sollicitée avec de beaux passages de contrebasse comme « Scent of a Trio » et le jeu percussif de Joao avec crissements de cymbales. Une nouvelle étape passionnante dans la carrière foisonnante du natif de Rocourt.

Retrouvez l’interview de Manuel Hermia réalisée par Jean-Pierre Goffin pour JazzMania.

Claude Loxhay