Tom Bourgeois, la musique comme une photographie
« Murmures / Rumeurs » intriguera peut-être l’auditeur, et même le ravira sans aucun doute. Entretien avec le compositeur-saxophoniste sur cet ambitieux projet.
Réaliser un double album en forme de miroir, d’où vient l’idée ?
Tom Bourgeois : Je pense que c’est en parlant avec un ami photographe qui m’apprenait que, en argentique, les couleurs sont inversées sur les négatifs. Je me suis dit pourquoi ne pas prendre ce concept appliqué à ma musique. Imaginons que les neuf morceaux de l’album, je les ai passés au bain et qu’ils ressortent d’une autre couleur. De là est né le concept de ces deux volets.
Aussi l’idée de deux formations.
T.B. : Il y a longtemps que j’avais une grande formation en tête. Déjà en sortant du Conservatoire, je jouais avec ces musiciens, il n’y avait pas Veronika (Harcsa) à l’époque. Comme je compose aussi beaucoup pour le cinéma, je me suis dit que ce serait une belle idée de prendre un morceau et de le décliner d’une autre manière, parfois très proche, parfois très éloignée. C’est un miroir mais qui ne refléterait pas tout le temps la même chose. Il y a des choses qui peuvent être cachées, qu’on n’est pas obligé de savoir, d’autres qu’on reconnaît. Il ne faut pas que tout soit collé à la lettre.
Le concept passe après la musique et n’entrave pas l’écoute.
T.B. : Le second album est juste plus complexe, plus dense, il fait une heure alors que le premier fait 45 minutes.
«C’est mon côté obstiné : quand j’ai commencé une histoire, j’aime aller jusqu’au bout.»
Ravel était déjà présent dans l’album précédent.
T.B. : Dans le premier projet de « Murmures » qui était déjà un double album, j’avais réarrangé tout le quatuor à cordes de Ravel pour le groupe. Comme il y a quatre mouvements et qu’on est quatre, j’ai fait en sorte que chaque mouvement soit dédié à un des instrumentistes du groupe : l’accordéon, le sax soprano, la voix de Loïs et le dernier avec la guitare. J’avais aussi pour cet album arrangé le premier mouvement de la « Sonatine III ». Plus tard, on a sorti un « live » où il y a le deuxième mouvement de la sonatine. Avec ce troisième mouvement, le cycle est complet. C’est mon côté un peu obstiné : quand j’ai commencé une histoire, j’aime aller jusqu’au bout. Ce sont les couleurs impressionnistes de Ravel ou Debussy qui me font parler.
Le côté plus épuré de Ravel en quintet le fait aussi sonner plus jazz.
T.B. : Dans le premier « Murmures », il y avait plus d’arrangements. Ici, je voulais être plus simple, une volonté d’être au maximum épuré, en contradiction avec l’album avec la grande formation qui est plus arrangé. D’où cette impression de fluidité qu’on retrouve dans le jazz.
Il y a aussi la musique de John Dowland revenue à l’avant-plan depuis que Sting a enregistré un album complet de sa musique.
T.B. : C’est une musique qui n’a pas vieilli, un peu comme celle de Bach… Il y a quelques pépites par siècle qui seront toujours jouées. Il y a une forme de simplicité, d’émotion qui sonne juste dans cette musique. Il y a le côté chambriste qui colle aussi à mon univers, le fait qu’il n’y a pas de basse ni de batterie, on est dans du jazz de chambre. J’avais entendu Veronika chanter quelques morceaux de Dowland, du coup j’ai creusé ce morceau en pensant à elle.
Il y aussi une composition de Loïs Le Van.
T.B. : J’aime lui demander une composition sur chaque album car il a sa patte à lui, et ça fonctionne bien avec le groupe.
«Avec Loïs (Le Van), ça passe ou ça casse. Ou on est touché ou pas… C’est un peu l’anti-crooner.»
Loïs est un chanteur vraiment original.
T.B. : Loïs, ça passe ou ça casse, ou on est touché ou pas. C’est un peu l’anti-crooner, il n’est pas charmeur, il a un timbre assez épuré, ma musique lui convient. Tu connais Gabor Winand ? Il est décédé l’an passé, j’aurais aimé l’inviter. C’est Loïs qui me l’a fait découvrir. Ce sont toutes des nouvelles compos sauf « Soir29 » que j’ai écrite en 2015. On en a fait une version orchestrale et en quintet. Et là, c’est clairement le même morceau pour deux formations différentes.
Si on te demande de citer des références…
T.B. : Arvo Pärt, Duke Ellington et Count Basie… Aussi Mingus, Gil Evans c’est la grande classe… Le BJO aussi pour certaines choses, déjà un peu plus traditionnel, mais ils ont fait des choses très modernes avec certains arrangeurs. Pour ma musique, ce que je cherchais c’est d’être en dehors des canevas des grandes formations, éviter les riffs, les longs solos. Dorian joue toute la partie harmonique, Laurent et Thibaut ne jouent pas d’accords, je les ai intégrés dans la section, Thibaut ne joue pas que de l’accordéon, mais aussi un instrument entre l’harmonica et l’accordéon pour avoir des timbres différents. J’ai beaucoup cherché à faire ressortir des sons différents.
«La variété, c’est ce qui me fait écouter un album jusqu’au bout. La nuance, ça a été mon fil conducteur.»
Il y a peu d’improvisation…
T.B. : Il y a quelques morceaux où c’est assez improvisés, comme les 2e et 5e, et beaucoup de choses écrites. J’ai voulu un équilibre entre les deux. La variété c’est ce qui me fait écouter un album jusqu’au bout. La nuance ça a été mon fil conducteur.
Pourquoi pas plus de textes en français ?
T.B. : « Deux raisons : le son de la langue, une forme de musicalité qu’on trouve en anglais, c’est pas pareil en français. Veronika chante tout de même en français sur un morceau. Aussi : François a vécu aux Etats-Unis et il se sent plus à l’aise dans l’écriture en anglais. Il y a eu une tentative de morceau en français mais ça ne collait pas. François est un super parolier qui capte bien ma musique. Il écrit des textes avec plusieurs lectures possibles, on y trouve des choses différentes au niveau symbolique. Par exemple, « Left on the Napkin » et « The Familiar Note”, c’est la rencontre au fin fond des Etats-Unis entre un homme et une femme. Il s’est passé quelque chose de bizarre entre eux et François donne le point de vue de l’homme sur un texte tandis que l’autre morceau donne le point de vue de la femme.
En concert à Paris, au 360 Music Factory le 19 mai, le premier set en quintet et le second en grande formation.
Tom Bourgeois
Murmures / Rumeurs
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