Duplex : Leur tour du monde en 80 minutes
L’un, Didier Laloy, aime la world, danse avec son accordéon diatonique sur toutes les scènes, sous son nom, derrière d’autres artistes ou au sein de nombreuses formations et projets (Trio Trad, Tref, S-Tres, Belem, Folk Nevermind…) L’autre, Damien Chierici, aime la musique classique, la pop, le rock et joue du violon. Nous l’avons vu au sein de Yew, Dan San, My Little Cheap Dictaphone (époque « The Tragic Tale of a Genius »), Kowari… Damien compose, arrange, enregistre avec de nombreux groupes belges, accompagne le chanteur irlandais Glen Hansard ou enregistre des musiques de films. Point commun entre Didier et Damien : ils ont chacun reçu une carte blanche pour se produire au Festival d’Art de Huy. Deux concerts qui restent ancrés dans les mémoires. Les deux musiciens se sont associés au sein du groupe Duplex, avec lequel ils viennent de publier un captivant premier cd (« Maelstrom ») au livret classieux. C’est avant leur remarquable concert au Centre Culturel de Huy que nous avons échangé ces quelques mots.
«Nous nous sommes directement trouvés musicalement. Cela fonctionnait très bien entre l’accordéon et le violon.»
Je pense que votre rencontre s’est faite dans le groupe Folk Nevermind. Un groupe qui adapte Nirvana en folk…
Damien Chierici : Nous nous sommes rencontrés en 2018, quand le chanteur Manu Champagne cherchait deux musiciens pour faire des reprises de Nirvana. Nous ne voulions pas le faire parce que nous ne désirions pas faire des reprises et encore moins de Nirvana. Nous avons refusé pendant six mois puis il nous a demandé de malgré tout tenter une répétition. Elle s’est faite chez Didier Laloy que je connaissais uniquement pour l’avoir vu en concert ! Et directement nous nous sommes trouvés musicalement, cela fonctionnait très bien entre le violon et l’accordéon.
Didier Laloy : Mais ce que Damien oublie de dire, c’est que nous avions déjà joué ensemble dans le cadre de « Ça balance » en accompagnant le chanteur Jali !
D.C. : Dès la deuxième répétition nous nous sommes dit que cela fonctionnait tellement bien au niveau des sonorités de nos instruments, qu’en parallèle de Folk Nevermind nous pourrions faire quelque chose ensemble. D’où la formation de Duplex… mais très vite arrive le covid !
D.L. : Venait alors la question de savoir si nous le faisions tout de suite.
D.C. : Nous partions d’une page blanche, nous avions répété dans le salon, élaboré les bases du concept, cherché un thème en nous questionnant : « Qu’est-ce que cela va être Duplex ? » Assez vite nous sommes partis sur l’idée du voyage, de la rencontre de différents styles musicaux. Didier à la base est très « world » il connaissait déjà la radjesnikat bulgare qui m’était inconnue ! (rires) Moi je connaissais plus la vodka bulgare ! (rires) C’est mon côté rock’n’roll !
D.L. : Donc le covid arrive dans l’histoire. Damien, grand lecteur, est plongé dans « Le tour du monde en 80 jours » de Jules Verne. D’où l’idée de notre tour du monde, à nous, en 80 minutes ! On s’envoyait des compositions et on essayait de donner une direction, un pays, une couleur à chaque titre. C’est ainsi que le concept est devenu un voyage entre ces différentes influences. Je suis ancré, de mon côté, dans les musiques du monde. Damien amène, avec son violon, aussi de ces musiques, mais surtout son côté pop rock. Chose que je n’ai pas… Peut-être que s’il n’y avait pas eu le covid nous n’aurions pas poussé les choses aussi loin…
Et il y a aussi des touches de musiques électroniques. Et deux autres musiciens à vos côtés…
D.L. : On travaillait à deux, puis on s’est dit que quelques percussions en plus ce serait bien. Damien propose le batteur Olivier Cox. On répète à trois à la maison et Olivier nous dit qu’un côté grave du son lui manque un peu. Comme celui d’une basse.
D.C. : On se dit alors qu’on pourrait remplacer la basse par un moog et des claviers. Ils apporteraient un côté électronique voire psychédélique ! Et Olivier nous propose Quentin Nguyen, un musicien de ses connaissances qui possède énormément de claviers. Il devrait pouvoir proposer les sons qu’il faut mettre à certains moments ! Il a tout de suite compris où il fallait un Juno (synthé numérique – NDLR), tels styles de sons, filtrés ou non filtrés.
D.L. : C’est devenu le côté pop-electro en soutien, derrière nos instruments préhistoriques ! (rires)
D.C. : Mais il y a aussi des pédales pour les effets. Et pour son accordéon, Didier utilise un octaver sur la main gauche, ce qui fait des infra basses à certains moments, des phrasés sur la main droite. Cela nous permet de partir dans des ambiances cinématographiques.
J’avais remarqué et des chansons comme « Broken Leaf » et « O’Mar » pourraient convenir au cinéma d’Emir Kusturica…
D.C. : (rires) « Broken Leaf » a une signature rythmique ancienne et c’est vrai, un côté balkanique.
Votre musique est-elle écrite ou vous permettez-vous des improvisations ?
D.L. : C’est une musique avant tout écrite, mais il y a quelques petites improvisations, notamment lors de solos. Même tout ce qui vient des claviers est écrit.
«On a envie de développer le projet Duplex. C’est vraiment notre projet principal ensemble.»
Duplex ce sera un « one shot » ? Vous êtes tellement impliqué dans des projets… Ou vous envisagez de continuer l’aventure ?
D.C. : Non, Duplex c’est vraiment notre projet principal ensemble. Là où, par exemple, Folk Nevermind, personnellement, j’envisage d’arrêter parce que j’en ai fait le tour en tant que musicien. On a vraiment envie de développer Duplex et on a surtout signé l’album sur un label international ce qui nous permet d’envisager de tourner autre part qu’en Belgique. Il y a des bookers allemands, hollandais, scandinaves. Le fait aussi que ce soit instrumental ne nous cantonne pas à une langue ni à un territoire.
Toujours la formule à quatre musiciens ?
D.L. : On va défendre la formule quartet au maximum et pour ceux qui n’ont pas les moyens ou si le lieu est trop petit, on a la formule duo mais on utilisera des bandes car on veut garder le côté electro. C’est la signature de ce projet : folk, pop et électro.
Et pas d’Antoine Dawans ? (le trompettiste de The Brums qui joue sur un titre)
D.C. : (rires) Non, on ne va pas le faire venir jouer avec nous juste pour un morceau ! Mais c’est un superbe musicien. Par contre lui, je pense qu’il a assez bien improvisé.
Il joue sur « Bakerloo Circle » et vous faites référence aussi au groupe Bakerloo. Groupe éphémère anglais, oublié, qui n’a sorti qu’un album en 1969 !
D.C. : (rires) C’est simplement comme si nous nous retrouvions dans cette station de métro londonienne et que nous faisions aussi un petit clin c’œil à ce groupe anglais et au rock du début des années septante.
J’ai aussi trouvé un côté rock progressif sur certains passages de « The Cryptogram of La Buse » et « Pavane » …
D.C. : C’est vrai mais c’est surtout dû au fait qu’après le break de batterie, il y a une « grosse montée » à laquelle s’ajoutent des loops et on part dans des pensées, des cauchemars puis on revient à la cour de Louis XIV à la fin ! (rires)
Mais si cela peut faire plaisir j’ai aussi pensé aux progressions au sein des Bad Seeds (rires)
D.C. : Ah ça c’est bien, nous y voilà ! (rires) Warren Ellis ! (le violoniste des Bad Seeds NDLR)
Une chose aussi remarquable sur votre cd ce sont les descriptions des chansons, écrites sur le livret. En quelques lignes, on comprend le morceau et son ambiance…
D.C. : C’est notre manager Poney Gross, qui nous a aussi accompagnés dans toute la création artistique, qui en a eu l’idée. C’est à sa demande que nous avons raconté « notre voyage », et c’est Jean-Claude Tahir qui a écrit ces mots, notre ressenti. En redonnant quelques directions, il a proposé ces textes.
«Le maelstrom est effroyable, mais il est aussi beau à regarder… Un peu comme notre musique : jolie et dangereuse.»
Pourriez-vous nous parler un peu de la pochette ?
D.C. : Le « maelstrom » est un grand trou noir au milieu de l’océan, l’endroit où tout se mélange. Un endroit effroyable mais qui peut être aussi beau à regarder. Un peu comme notre musique « jolie et dangereuse » ! Nous avons soumis l’idée à notre maison de disque et c’est un artiste anglais qui a reproduit ce maelstrom à partir de jeux de lumières dans de l’eau. Ils ont fait un tourbillon et pris des photos. Tout a été créé en studio. Puis ils ont tiré la chasse ! (Fous rires !)
D.L. : Canard w.-c. ! (Au milieu des fous rires !)
Le concert est mis en scène par le comédien Eric de Staercke. Que fut son apport ?
D.C. : Le concert dure 80 minutes et nous racontons nos histoires. Eric nous a aidés à construire ces 80 minutes. Ce n’est pas du théâtre, il s’est occupé des éclairages, de nous positionner à certains moments lors de la création du spectacle, il y a un an. C’est une belle évasion pour nous tous ces concerts.
D.L. : Moi je le connais depuis des années, depuis le « Jeu des dictionnaires » notamment. Il s’était aussi occupé de la mise en scène de Belem & The Mekanics.
Le choix de Laurent Eyen comme ingénieur son, mixeur. Quelqu’un de bien rock, c’est le choix de Damien je suppose ?
D.C. : Oui, cela vient plus de moi. Je connais Laurent depuis des années, depuis My Little Cheap Dictaphone. Et avant, quand je lisais les pochettes je voyais son nom partout ! (rires) Quand nous lui avons demandé de s’occuper de nous, il a été un peu surpris mais dès qu’on lui a dit qu’on voulait quand même un « son rock » il a compris. C’est lui et Poney, qui était aussi en studio et qui a joué un rôle de « producteur artistique, conseiller superviseur », qui ont poussé le son de la batterie ! Ce fut une belle expérience ces moments en studio.
D.L. : Et tout cela donne un son unique : un accordéon avec un son de batterie pareil, un violon et des synthés, ce n’est pas du folk rock !
D.C. : On est dans une nouvelle catégorie, reste plus qu’à la définir ! Peut-être du Laloy Chierici ! (rires)
Duplex
Maelstrom
Zig Zag World
Duplex en concert le 18 mars au Théâtre Jardin Passion (Namur) et le 31 mars à la Ferme du Biéreau (Louvain-la-Neuve).