Anohni And the Johnsons : My Back Was a Bridge For You to Cross
Antony ou Anohni ? Pour elle, ce changement de sexe et de patronyme revêt toute son importance. Pour nous, c’est un peu kif-kif. Cela ne change rien à ce que l’on perçoit, à ce que l’on entend : une sensibilité à fleur de peau traduite par un timbre et un trémolo dans la voix qui vous feraient instantanément réagir les quatre coachs de The Voice dans leurs fauteuils rouges. Anohni / Antony, c’est à peine quelques albums publiés en vingt-cinq ans de carrière. « My Back Was a Bridge For You to Cross » suit d’ailleurs le précédent « Hopelessness » de sept ans. Ce qui démontre que chez cet artiste à haut potentiel, l’aspect commercial importe peu. Beaucoup moins en tous cas que le message (un portrait de la militante Marsha P. Johnson – à la base du nom du groupe d’Anohni – figure en couverture de l’album). Chacun de ses disques est attendu avec curiosité et surtout avec émotion, car on sait d’avance que l’on sera touché. Et dès lors, la colonie de ses admirateurs parmi laquelle on retrouve quelques célébrités (Philip Glass, Devendra Banhart, David Lynch, Björk, …) ne cesse de gonfler.
« My Back Was a Bridge For You to Cross », produit par Jimmy Hogarth (Amy Winehouse, Tina Turner, …) s’inscrit bien dans cette tendance-là. L’album aligne dix titres, des ballades soul apaisées (« It Must Change » en introduction, « Sliver of Ice », « You Be Free » en clôture, comme un ultime message …) ou moins (le magnifique « Rest » dont l’intensité n’appartient qu’à elle – et à Patti Smith peut-être). Apaisé ? Oui, si on prend le recul d’une écoute distraite. Mais à bien s’y intéresser de plus près, on se rend compte que cette magnifique chanteuse – que certains comparent à Nina Simone – nous délivre ici ses tourments les plus intimes. Écoutez ses mots : « In this society, a scapegoat is all I can be » (« Scapegoat ») ou encore « Why am I alive to watch this duress ? » (« Why Am I Alive Now ? »). L’entendre, l’écouter, aimer chaque instant qu’elle nous accorde. Que pourrions-nous faire de mieux ?