Driss El Maloumi : tout est dans les détails

Driss El Maloumi : tout est dans les détails

Driss El Maloumi © Bernard Rie

Le oudiste d’Agadir accompagné de Lahoucine Baqir et Saïd El Maloumi a enregistré « Détails » avec le Watar Quintet : quand Orient et Occident s’entrecroisent.

Pouvez-vous nous introduire votre instrument ? Quelle est son histoire ?
Driss El Maloumi : D’abord le nom peut s’écrire « oud » ou « ud » et cet instrument n’a rien à voir avec le luth, qui a une conception plutôt musique baroque, médiévale : sur mon oud, il n’y a pas de frettes et les cordes n’ont pas le même accord, ce n’est pas la même technique ni la même conception des phrases et des structures musicales. Le oud que j’utilise en ce moment – j’en ai plusieurs – je l’ai fait faire au Maroc par un de nos meilleurs luthiers qui est malheureusement décédé. Il a été construit avec des mesures et des cordes que je voulais personnellement par rapport, à la forme, au son, à la tessiture. J’ai toujours été attiré par des idoles qu’on crée dans nos envies, dans nos rêves, des musiciens qui ont constitué ma mémoire musicale : Munir Bashir, Marcel Khalifé… Mon oud a été fabriqué à Casablanca, j’ai essayé d’y mettre ma petite expérience, mes envies, je n’oserais pas dire mes principes, mais plutôt mon concept à la fois sonore et du point de vue de la structure.

Vous dites d’ailleurs que vous cherchez à ce que votre instrument ressemble à la voix humaine.
D.EM. : Tout à fait. A un moment donné, j’ai été assez attiré par des ouds avec un accordage assez aigu, ce qu’on appelle chez nous un accordage de fa par rapport à un accordage de do ; la note la plus aigüe on l’accorde en fa ou en do, et le oud tel que je le propose est plus proche de cette tessiture de la voix humaine, plus proche de la réalité sonore de la parole et du chant, c’est très important. Cet instrument est aussi plein d’histoires par rapport à moi, ma petite carrière, par rapport aux défis, c’est un fidèle compagnon qui permet de répondre à mes suggestions esthétiques.

«Je suis du côté de ceux qui disent que l’identité n’est pas seulement l’héritage du passé, mais aussi la création de soi-même.»

Et ce n’est pas un hasard si vous associez le oud au violoncelle dont nous disons que c’est l’instrument occidental qui ressemble le plus à la voix humaine.
D.EM. : Exactement. Il y a à la fois la rondeur et cette tessiture qui se trouve entre les deux. Il y a aussi la forme, la présence de l’instrument dans le concept visuel. D’ailleurs, le grand Munir Bashir a étudié le violoncelle et le oud et y a trouvé une relation particulière, aussi quant à la couleur et la brillance du son.

Driss El Maloumi © Bernard Rie

Vous êtes directeur du Conservatoire d’Agadir ; y a-t-il une école particulière du oud dans cette région ?
D.EM. : Comme le dit le poète, Agadir c’est mon premier ciel, j’y suis né, j’y ai fait toutes mes études et j’ai enseigné pendant douze ans avant de devenir directeur. C’est une petite école qui correspond à une école de musique chez vous. Dans notre région, il y a encore quelques petits conservatoires. C’est très important de créer des liens avec ses étudiants, de voir un exemple, leur créer la possibilité d’avoir une carrière, il est important de voir le concret devant eux. Il y a eu un débat entre puristes et modernistes, ceux qui veulent chambouler les principes de la tradition. Je suis du côté de ceux qui disent que l’identité n’est pas seulement l’héritage du passé, mais aussi la création de soi-même.

Le projet avec cordes était une envie de mêler les instruments classiques européens avec votre instrument.
D.EM. : Oui… J’ai toujours eu une relation particulière avec les salles de cinéma. L’obscurité, l’odorat, le côté imaginaire et magnifique m’ont permis de me créer des héros, mais j’étais toujours attiré par les musiques de film ; le violoncelle me semblait toujours nourrir l’instant d’une séquence, une extase, un crescendo, je trouvais ça très attirant. Il y avait aussi la radio, la télévision, et le petit conservatoire où j’entendais le violon, et l’alto qui fait partie de la musique traditionnelle de chez nous. Pour ce disque, l’envie de départ était de jouer avec un orchestre symphonique, j’ai travaillé là-dessus pendant à peu près deux ans pendant le confinement. Le terme « tafasil », qui est le nom du projet, veut dire « les détails » en arabe. Je voulais proposer une approche musicale jusqu’aux petits détails minuscules de la vie, je pense à ces choses qui font nos particularités d’Homme (avec un grand H). Soudain, on a découvert que la planète était fragile et nous a forgé un autre regard… Bref, j’en reviens à l’orchestre : j’ai toujours été attiré par l’orchestre symphonique, mais il fallait répondre au défi budgétaire et pouvoir faire tourner le projet. J’ai travaillé la structure du projet pour rapprocher les violons, le violoncelle du oud, on a travaillé des arrangements en Espagne avec Javier Blanco dans le sens où les concerts doivent évoluer, que le premier ne ressemble pas au deuxième et ainsi de suite. C’est ma façon de voir les choses, il faut revoir les choses, les paragraphes, l’ordre… Je suis toujours en train de me remettre en question.

«On ne propose pas de la musique arabe, mais une rencontre entre deux atmosphères pour produire autre chose.»

Y a-t-il des moments de totale liberté, d’improvisation sur scène ?
D.EM. : Je pense que oui. On a déjà donné pas mal de concerts. Il faut d’abord savoir qu’on ne propose pas de la musique arabe, mais une rencontre entre deux atmosphères pour produire autre chose. J’ai des super musiciens, mais qui ne savent pas lire la partition, qui ont une culture musicale et qui sont ici réunis avec des musiciens qui pratiquent l’alto, le violoncelle, la contrebasse, avec Adrien Tyberghein qui est un extraordinaire musicien. L’idée est de pouvoir altérer toutes les possibilités des deux cultures, on est dans le partage entre oriental et occidental. Je pense que les instruments ne font qu’exprimer ce que les musiciens ont envie de dire, aller vers l’autre, créer des ponts, et les instruments ne font que suivre.

Driss El Maloumi Trio & Watar Quintet © Bernard Rie

Adrien Tyberghein, vous avez tenu à l’ajouter au quatuor ?
D.EM. : Sa présence a amené une autre dimension au projet. Adrien a cette capacité d’improviser d’être à la fois classique et contemporain. Il s’intéresse au quart de ton et à la musique orientale. Il y a une nécessité artistique d’avoir cette personne qui en plus rayonne sur scène.

Dans vos textes, on trouve les mots joie, extase, rêve, tendresse, beauté… Tout est positif, mais né pendant une période difficile…
D.EM. : Je suis quelqu’un qui est toujours entre deux villes, entre deux avions, entre deux projets… Le confinement, malgré la douleur qu’il nous a fait subir, m’a permis, m’a donné le temps de créer mon home studio ; le contexte a vraiment précisé les choses. « People of Dawn » est l’exemple d’une réflexion, d’un regard musical sur des situations différentes, comme celles des gens qui sont un peu dans l’ombre, mais qui, avec la même force, se lèvent tôt le matin, on ne les voit pas, comme les éboueurs qui nettoient nos rues et ramassent les restes de nos péchés quotidiens, les conducteurs des transports publics qui emmènent les gens vers les probabilités de leur journée… J’ai pensé aussi aux femmes qui tôt le matin préparent leurs enfants pour la gloire de la journée qu’est l’école. J’ai posé un autre regard sur tous ces gens, aussi sur le voisin d’une façon générale… On est dans une période où on parle d’être connecté, mais le vrai contact humain, on en a besoin. C’est par des petits détails qu’on redécouvre notre côté humain. Le challenge du confinement nous a rapprochés de ces gens.

En concert à Wolubis, Bruxelles, le 28 février.

Driss El Maloumi Trio & Watar Quintet
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Contre-jour / ZigZag World

Propos recueillis par Jean-Pierre Goffin