
Frédéric Adrian : Nina Simone
Frédéric Adrian est journaliste pour la presse musicale, il fait partie de l’équipe de rédaction de Soul Bag et a aussi écrit des biographies de Ray Charles, Otis Redding, Marvin Gaye ou Stevie Wonder. Il propose ici la biographie la plus complète de Nina Simone en se penchant, avant tout, sur sa carrière et son engagement plutôt que sur certains côtés plus sombres de sa vie. Cela donne un livre de 235 pages avec, en couverture, une magnifique photo de Jean-Pierre Leloir. Pour cela, il s’est penché sur une longue documentation : archives de l’INA, autobiographie de la chanteuse intitulée « I Put a Spell on You », différentes biographies, des ouvrages sur le contexte historique et de nombreux magazines, de Down Beat à Jazz Mag.
Le livre s’ouvre sur les débuts de la chanteuse à Atlantic City, au Midtown Bar en 1954, sa naissance en tant que chanteuse, quand Eunice Kathleen Waymon devient Nina Simone. Dès la troisième page, Adrian revient en arrière pour évoquer le parcours scolaire d’Eunice, au Tryon Colored School, un établissement destiné aux seuls élèves noirs. Heureusement, une cinquantenaire blanche, Muriel Mazzanovich commence à lui donner des leçons de piano et, peu après ses 11 ans, elle lui organise un récital. Surprise pour la jeune fille noire, ses parents placés au premier rang sont priés de céder leur place à des blancs. Première réaction de la future Nina, elle ne jouera pas si c’est le cas. Elle poursuit ses études de musique classique qui l’amènent à s’inscrire à la Julliard School of Music puis au Curtius Institute of Music, qui, malgré ses dispositions, finit par rejeter sa candidature… C’est bien évidemment le racisme et non la qualité de son jeu qui explique ce refus. Le point de départ d’une frustration qui la marquera à jamais.
Après s’être improvisée professeur de piano, elle pousse la porte du Midtown Bar où elle chante de 21 heures à 4 heures du matin pour un salaire dérisoire. « I Love You Porgy » devient sa chanson fétiche. Sa carrière de chanteuse prendra peu à peu de l’ampleur : Village Vanguard, Play Boy Jazz Festival à Chicago, premiers enregistrements pour Bethlehem Records. Dès lors, elle est accompagnée par des musiciens de premier plan comme Kenny Burrell ou Ben Riley et est programmée en même temps que Sonny Rollins ou Miles Davis. Elle se produit au Town Hall, est invitée à la télévision et finit par être programmée au Newport Jazz Festival et chante au Carnegie Hall de New York, partageant l’affiche avec Coltrane, Rollins et Monk. En parallèle, elle mène son engagement contre la discrimination, notamment à l’encontre des « cabaret cards » délivrées arbitrairement par la police. Malheureusement, ses incartades auprès du public se multiplient. Dans un club de Manhattan, puis au Town Hall, elle quitte la scène, face à une certaine indifférence du public. Elle manifeste aussi sa colère à l’égard des enregistrements pirates : « J’ai enregistré 35 albums, ils en ont piraté 70 ». Mais son succès se poursuit. Elle chante en Afrique (elle est très amie avec Miriam Makeba) et en Europe (Olympia, festival d’Antibes, de Comblain).
Outre son répertoire personnel, elle interprète « Strange Fruit », emprunte des titres à Bob Dylan, Leonard Cohen ou Brel (« Ne me quitte pas »). Elle se lie d’amitié avec l’écrivain Langston Hughes, les chanteurs Sammy Davis ou Harry Belafonte. Elle participe à des manifestations en faveurs des droits civils des Noirs en soutien à Martin Luther King, Malcolm X et le Black Power. Fatiguée, Nina prend des somnifères et connaît des problèmes d’alcoolisme, au point d’être parfois incapable de monter sur scène. Elle multiplie les retards et les annulations. Plus grave, un jour, elle renverse deux motocyclistes et prend la fuite. Une autre fois, excédée par le comportement bruyant de voisins, elle tire un coup de pistolet et blesse un adolescent. Fin 1992, Nina Simone s’installe dans le Sud de la France où elle côtoie James Baldwin et, en 2000, elle gagne Carry-le-Rouet où elle décède trois ans plus tard. Pour ses obsèques, cinq cents proches et amis, dont Miriam Makeba se sont rassemblés : « Ce n’était pas seulement une artiste, c’était aussi une combattante de la liberté” (Makeba). Elle nous a laissé des chansons comme « I Put a Spell on You », « Four Women », « Mississippi Goddam », ou « My Baby Just Cares for Me », des titres repris par Abbey Lincoln ou Kellylee Evans. « Nina Simone est sans doute la chanteuse la plus bouleversante de l’histoire du jazz » (Jean-Michel Jalard).
Frédéric Adrian
Nina Simone
Le Mot et le Reste
240 pages
20.00 €
ISBN : 9782361398699
Retrouvez la chronique JazzMania du coffret « Nina’ s Blues 1959/1962 » (Frémeaux et Associés).