Geoffrey Burton : Avec les pieds, en solo !
Le guitariste belge Geoffrey Burton est essentiellement renommé dans le monde du rock. C’est comme membre du groupe d’Arno qu’il s’est fait connaître, il y a plus de vingt ans. Il joue notamment sur les albums « Le european cow-boy », « French Bazaar », « A poil commercial » ou « Live in Brussels ». Mais il s’est aussi fait remarquer en accompagnant d’autres pointures comme Bashung, Iggy Pop, Sophie Hunger, Grace Jones, Rodolphe Burger ou Daan. Puis il est aussi membre du groupe Hong Kong Dong ! Mais son actualité nous le fait découvrir sous une facette toute différente. Il vient en effet de sortir son premier disque solo : « Me Ta Podia ». Un album instrumental, minimaliste, incomparable, mystérieux et joué uniquement à la guitare. Malgré des sonorités électroniques, il n’y a rien d’autre que de la guitare ! Rencontre avec l’auteur de ce passionnant ovni. Je fais d’office l’impasse sur sa période Arno, mais Bashung et Iggy Pop cela méritait quand même quelques éclaircissements…
Geoffrey Burton © Peter De Bruyne
«Je ne connaissais pas trop Bashung, on m’a fait écouter et je me suis dit – Oh ! Si ce type pouvait m’appeler.»
Geoffrey Burton : Avec Bashung j’ai fait son avant dernière et très longue tournée. Nous l’avions débutée au Cirque Royal. Je ne le connaissais pas trop, hormis quelques titres, mais on m’a fait écouter et je me suis dit : « Oh, si ce type pouvait m’appeler ! » (Rires). Un mois après on me contactait, j’ai été auditionné parmi de nombreuses sessions et j’ai été choisi. Quant à Iggy Pop j’ai uniquement fait des concerts en France. Il venait d’enregistrer un album de reprises, assez crooner, et j’ai été contacté pour faire un gros truc sur Canal +. Un show de deux heures avec beaucoup d’invités. Comme cela s’était bien passé j’ai fait la tournée avec lui. Ce fut donc ma collaboration avec Iggy Pop ! Ce qui est marrant c’est que le premier disque que j’ai su jouer en entier était l’un des siens. C’est un de mes artistes préférés, déjà du temps des Stooges ! J’ai fait beaucoup de choses à l’étranger, notamment avec Sophie Hunger. Mais si tu parles d’elle en Flandre, personne ne la connaît !
«J’ai fait quelque chose qui ne se rapproche pas de ce que l’on attend d’un guitare solo.»
Venons-en à ton album. Comment t’es venue cette envie d’un disque en solo ?
G.B. : L’idée de ce concept m’est venue lors d’un concert au Handelbeurs à Gand. C’était un concert organisé par un duo d’amis et il durait toute la nuit. Il y avait beaucoup d’invités et ils ne pouvaient donner que des concerts en solo. De moi, ils voulaient un concert de guitare. J’étais moyennement enchanté car je compose rarement à la guitare ! J’ai donc fait quelque chose qui ne se rapproche pas de ce que l’on attend d’un concert de guitare solo ! Je voulais que l’écoute soit différente de ce que l’on est supposé entendre. Que l’on pense à autre chose qu’une guitare.
Donc sur le disque tout est joué uniquement avec des guitares…
G.B. : Tout à fait mais évidemment avec des pédales, des effets. Et il n’y a pas de post production. Tout est du « live ». Du « one take ». Il y a juste un tout tout petit passage où j’ai triché ! (rires)
«On dirait que c’est hyper facile à exécuter, mais c’est beaucoup moins simple qu’il n’y paraît.»
Et les sons des machines à écrire dans « Dance of the Typewriters » ou des grenouilles dans « Take My Frogs For a Walk »… c’est bluffant de ressemblance !
G.B. : (rires) Surtout que les titres sont venus après la composition. Comme tous les morceaux finalement. J’écoute essentiellement de la musique instrumentale, très peu chantée. Pas spécialement des soundtracks mais des musiques qui pourraient y faire penser. Et finalement, je me suis retrouvé dans ce processus de création. Je voyais beaucoup d’images, même animées, en jouant ma musique. J’aime bien de créer des trucs un peu électroniques, abstraits, un peu naïfs mais pas bêtes ! (rires) Mais ce n’est pas évident de faire cela ! On dirait que c’est hyper facile à exécuter mais c’est beaucoup moins simple qu’il n’y parait !
Un peu « landscape music » aussi…
G.B. : Mais cela inclut surtout de la musique disons « planante ». Je ne crois pas qu’on peut dire cela de ce disque.
Sur « Lava » on dirait le son d’une contrebasse, tu joues avec un archet ?
G.B. : Non, c’est le résultat d’un touché de guitare. Cela semble être de l’électronique mais c’est parfois assez simple, il faut juste de l’imagination. Il y a beaucoup de musiciens qui oublient qu’il y a un contrôle volume sur une guitare. Grace à cela, il y a déjà moyen de créer plein de sons différents. Il n’y a pas que de la technologique pour cela. Il existe plein de démos expliquant les effets via les pédales sur le net ! Il ne faut pas nécessairement que ce soit compliqué, il faut que ce soit musical.
Étonnamment tu as sorti un single « Kuhlmannlaan 8 ». Pour moi, il pourrait devenir un hymne du dance floor avec son côté electro hypnotique, un peu à la Kraftwerk… J’ai appris aussi que ce titre faisait référence à ton papa…
G.B. : C’est le morceau qui est le plus électronique. On peut le décrire comme tu le fais, mais moi, cela me donne l’image de l’intérieur d’une horloge. Tous ces petits éléments qui donnent le mouvement perpétuel. Ce titre, c’est l’adresse de l’usine où travaillait mon père. On y faisait des produits chimiques !
« Bababachable » me fait penser à des « études de gammes » voire « un menuet »…
G.B. : Ça, c’est un morceau que j’avais déjà composé pour une pièce de théâtre mais qui n’avait jamais été enregistré. C’est vrai qu’il a un côté néo-classique.
«J’ai quand même essayé de faire un ensemble cohérent qui raconte une histoire imaginaire.»
Ce que j’apprécie aussi c’est la longueur des morceaux (pour info 10 titres – 40 minutes). Souvent avec la musique instrumentale il y a une tendance à étirer la composition. Ici c’est bien concis, une forme d’auto discipline ?
G.B. : Mais ce n’est pas calculé et malgré le fait que ce soient des musiques parfois très différentes, j’ai quand même essayé de faire un ensemble cohérent qui raconte une histoire imaginaire. Je voulais que tout l’album soit ressenti comme une seule composition. Mais ça, c’est dans ma tête ! Les gens vont bien entendre les différents morceaux (rires). En résumé on dira : cohérent mais varié !
Si je te dis que sur l’album il y a des bruits mais que ce n’est pas « bruitiste », qu’est-ce que cela t’inspire ?
G.B. : Un album « bruitiste » c’est ce que beaucoup de gens auraient attendu de ma part. Et c’est vraiment ce que je n’avais pas envie de faire. Pas un truc à la Sonic Youth, qui est toujours la première référence qui vient quand on parle de guitares expérimentales et de bruitages. Il y a du bon dans cette musique mais franchement elle me lasse. Et je pense avoir fait l’inverse : il y a du son, pas forcément des notes.
Geoffrey Burton © Peter De Bruyne
Dans le communiqué qui accompagne cette sortie, on parle d’improvisations, d’expérimentations… Personnellement je trouve cela très bien construit et relativement accessible…
G.B. : J’espère que c’est accessible pour beaucoup. En « live », c’est surtout l’étonnement qui prévaut, mais uniquement grâce aux sonorités. Il n’y a pas de projection, pas de light show. Je veux qu’il y en ait le moins possible, uniquement de la lumière statique et moi qui entre et qui sort de la lumière. Par contre j’avais une collaboration qui s’annonçait très intéressante avec quelqu’un qui fait du visuel, pas de vidéos mais aussi des choses en « live ». Malheureusement tout est compromis…
«Cette musique est faite pour être jouée en concert. Le problème actuel, c’est de pouvoir jouer…»
Quel est l’aboutissement que tu espères pour ce disque : pouvoir donner des concerts, qu’il serve de support à des images ou plus simplement c’est un plaisir personnel ?
G.B. : Support pour un film ce serait bien mais la musique est déjà faite ! (rires) Mais oui ce serait bien qu’on me le demande sauf si c’est vraiment un film très con ! (rires) Mais c’est fait pour être joué en concert, tout est déjà en « live » sur le disque. Le problème actuel (l’interview a été réalisée le 2 novembre – NDLR) c’est de pouvoir jouer. Mais pour les personnes intéressées, curieuses, il y a déjà des choses en « live » sur YouTube.
L’album est uniquement disponible via un téléchargement ou en vinyle…
G.B. : Je ne voyais pas l’utilité de sortir un cd. Quand tu achètes une voiture ou un nouveau laptop tu ne sais plus mettre de cd ! Et il n’y a que 300 exemplaires du vinyle ! A cause de la crise sanitaire, on ne pouvait déjà plus vendre en concert trois semaines avant le confinement d’octobre !
«Me Ta Podia signifie Avec les pieds… Je joue presque autant avec les pieds qu’avec les mains… C’est de l’artisanat !»
Penses-tu qu’une solution pour le futur serait de payer pour voir un concert en streaming ? Je l’ai déjà fait pour soutenir des artistes…
G.B. : Oui mais là, on est uniquement dans la bonne cause. Ce n’est pas très valorisant par rapport à la musique. C’est une bonne chose pour les salles ou les musiciens mais ce n’est vraiment pas ce que j’envisage de faire. Du moins de ma propre initiative. C’est dommage car j’avais donné quelques concerts et mon agenda était bien rempli mais voilà… On a la chance d’avoir une bonne couverture médicale chez nous, on n’est pas aux USA… Et quand je vois la situation là-bas, je paye mes impôts ici avec plaisir ! (rires) Je prépare aussi une série de concerts avec Ruben Block (de Triggerfinger) pour promouvoir son album en solo…
Une petite dernière : le titre de l’album c’est du grec…
G.B. : Le premier titre de l’album est déjà du grec. « Siga » veut dire « calme ». Et « Me Ta Podia » signifie « A pied » ou « Avec les pieds » et je joue presque autant avec les pieds qu’avec les mains ! C’est de l’artisanat… mais c’est aussi « flashy » ! (rires)
J’espère que tout ce que nous avons échangé et qui est désormais partagé ci-dessus avec vous, vous donnera l’envie de découvrir ce travail et cette musique, passionnante et unique. Et comme disaient certains : « And now for something completely different! ». Enjoy.
Geoffrey Burton
Me Ta Podia
Gong Ear
Propos recueillis par Claudy Jalet