Ghalia Volt : une fille branchée (1/6)
Femme, femme, femme… Fais-nous voir le ciel… C’est bien volontiers que JazzMania se soumet cette année à une couverture commune de « la journée de la femme », une action dispersée sur la toile entre quelques magazines de jazz européens (1). Mieux, nous leur consacrerons entièrement la semaine #10, celle du 8 mars… A chaque jour son interview (six jeunes musiciennes en tout seront présentées), il y aura des chroniques, des portfolios… Quel choix pour JazzMania ? Une évidence : Ghalia Volt… Parce qu’elle est jeune et talentueuse, qu’elle débarque avec un nouvel album « One Woman Band » (Ruf Records) plutôt réussi… Enfin et surtout parce que c’est une jeune chroniqueuse (et photographe) qui nous la présente… Suffisamment rare pour être souligné. Alors ? Le jazz, le blues… Une passion pour macho ?
Ghalia Volt © Lola Reynaerts
Ses 21 bougies à peine soufflées, cette jeune Bruxelloise a enfilé son back pack, pris sa guitare et s’est rendue sur la terre de ses inspirations. Son but ? Un pèlerinage du blues tout-à-fait personnel : de la Nouvelle-Orléans à Chicago, en passant par le Mississippi, à Jackson et Clarksdale, Memphis et Nashville dans le Tennessee, St-Louis dans le Missouri.
«Quand j’ai rencontré Little Richard, le stress était à son apogée… J’en ai cassé mon vinyle qu’il a bien voulu signer malgré tout !»
Ghalia Volt déambule dans ces villes qui évoquent toutes les chansons qu’elle écoute. Elle marche sur les pas de ses premiers amours : « Big Mama Thornton », « Skip James », « J.B. Lenoir ». Elle chante dans les Juke Joints où ses héros se sont produits. Elle y rencontre même le grand Little Richard : « J’ai décidé d’attendre devant l’hôtel Hilton à Nashville, où il réside, pour le rencontrer, et lorsqu’on m’a dit qu’il reviendrait dans une heure, j’ai couru jusqu’à mon auberge pour aller chercher un de ses 45 tours. Après 40 minutes il est arrivé en voiture. Le stress était à son apogée, j’en ai cassé mon vinyle, qu’il a accepté malgré cela de signer ! »
Ghalia Volt © Kealen Barowski
Son objectif est de monter sur scène avec les musiciens qu’elle rencontre en route. Sa soif d’apprendre de ces rencontres l’emmène sur les planches de scènes sur lesquelles tous les musiciens, amateurs de blues, rêvent un jour de jouer. Le Balcony Music Club à la Nouvelle Orléans, Red’s Juke Joint à Clarksdale, les clubs de Beale Street à Memphis, Jazz, Blues & Soups de St-Louis, le Hal & Mal’s à Jackson où elle a complètement séduit les habitués des lieux avec sa reprise « I’d Rather Go Blind » d’Etta James. Et tout cela malgré la difficulté de convaincre de son authenticité lorsque l’on est femme, blanche et de surcroît européenne.
«Etre une jeune femme blanche européenne et chanter du Mississippi blues aux States est forcément impressionnant. Ça demande du courage…»
Ghalia Volt : « Etre une jeune femme blanche européenne et chanter du Mississippi Blues aux USA était forcément un peu impressionnant. Les gens sont très surpris, ils adorent t’écouter, parler avec toi car ils n’ont jamais entendu quelqu’un parler comme toi, avec un tel accent… Mes débuts sur les scènes du Deep South m’ont demandé beaucoup de courage. La concurrence y est rude et il faut une volonté sans failles pour se faire une place. Mais l’énergie que je déploie a été et est toujours remarquée. C’est ce qui a forgé mon caractère et m’a poussée à faire toujours mieux. »
«Pour « Hiccup Boogie », j’ai demandé aux musiciens de jouer comme s’ils avaient le hoquet… C’est pour cela que la chanson dégage une énergie et des moments spontanés.»
Elle rencontre les musiciens du groupe Johnny Mastro & the Mama’s Boys (Johnny Mastro au chant et à l’harmonica, SmokeHouse Brown à la guitare et Dean Zucchero à la basse) avec lesquels le courant passe instantanément. La rencontre de Thomas Ruf du label Ruf Records fut aussi un moment clef de son aventure. Celui-ci lui signe un contrat et lui réserve un vol direction Creschent City pour y enregistrer l’intégralité d’un album. « Let The Demons Out » mixé et masterisé par l’ingé-son David Farrell sort en 2017. Ensuite, Ghalia & the Mama’s Boys sillonnent les routes européennes et américaines pendant quelques mois. Cet album est enregistré dans un seul local où tous les musiciens y sont volontairement isolés, ce qui invite à plus de spontanéité… Elle explique : « Cela a été beaucoup plus amusant et stimulant. Le son de l’album est beaucoup plus original, plus authentique et apporte un côté plus « cru » à la musique ». Sur la dernière plage de l’album « Hiccup Boogie », un seul mot d’ordre : « J’ai demandé aux musiciens de jouer comme s’ils avaient le hoquet, ce qui a fonctionné car cette chanson dégage une énergie et des moments spontanés ». « Let The Demons Out » est aussi réel que possible.
Ghalia Volt © Kealen Barowski
Ghalia Volt © Kealen Barowski
«Grâce à ses origines musicales, Ghalia donne un nouveau son au Hill Country Blues et au blues traditionnel.» Cédric Burnside
En 2018, entre ses concerts européens et outre-Atlantique, Ghalia prépare son deuxième album qu’elle veut innovant et organique. Un album avec ses propres influences musicales : du Hill Country Blues. Elle l’enregistre au Zebra Ranch Recording Studio, situé à Coldwater dans le Mississippi. Un studio fondé par Jim Dickinson et repris après sa mort par ses fils Cody et Luther Dickinson, membres du groupe North Mississippi All Stars. Le premier invité dans cet endroit mythique est Cédric Burnside, petit fils du célèbre R.L. Burnside, qui fera résonner sa batterie sur des titres tels que « Release Me » ou encore sur la reprise du célèbre Negro Spiritual « Wade In The Water ». Mister Burnside ajoute : « C’est un plaisir d’être présent sur le prochain opus de Ghalia car elle donne un nouveau son au Hill Country Blues et au blues traditionnel. Ses origines musicales sont la cause de ces sons uniques et innovants ». Se succèdent Cody Dickinson à la batterie (« J’ai un profond respect car elle a choisi de venir au Zebra Ranch Studio pour y enregistrer son album au milieu de nulle part, tu dois être courageux pour venir dans le fin fond du Mississippi »), SmokeHouse Brown qui a déjà fait vibrer les cordes de sa guitare sur le premier album et qui revient en force sur un titre tel que « First Time I Die » qu’ils ont coécrit ensemble.
«C’est un nouveau regard et non une imitation du blues traditionnel.» Watermelon Slim
Pour compléter l’équipe, nous trouvons Lightnin Malcolm, l’un des guitaristes les plus convoités du Mississippi et qui va prochainement partir en tournée avec Ghalia, puis Watermelon Slim, ce sacré personnage aux talents multiples à l’harmonica et au chant (« Je suis Watermelon Slim de Clarksdale, Mississippi et cela fait 5 ans que je regarde avec bonheur la progression de Ghalia, elle est l’une de ces personnes qui est arrivée dans le monde du blues et qui s’est approprié ce style. J’ai été touché par la musique qu’elle m’a présentée, c’est un nouveau regard et non pas une imitation du blues traditionnel.») et Dean Zucchero à la basse ainsi qu’à la co-production de l’album.
Ghalia Volt © Lola Reynaerts
En 2020, alors que le coronavirus pointe le bout de son nez, à New Orleans, où bon nombre de musiciens vivent grâce aux tips des touristes, la vie artistique s’éteint petit à petit. Ghalia décide alors de jouer en « One Woman Band ». La période s’annonçait très difficile et incertaine pour elle, sachant que les artistes étaient les premiers à arrêter leur activité et seraient les derniers à la reprendre. Il fallait se renouveler : « Si les concerts solos n’étaient pas spécialement nouveaux pour moi, jouer de la batterie avec mes pieds pendant que je joue de la guitare en chantant l’était bien. Je me suis donc entraînée pendant quelques mois puis je suis partie tester le concept au Mississippi ainsi qu’en Louisiane ». Avec les contraintes liées au Covid, l’idée d’enregistrer seule était cohérente. Ruf Records lui a apporté son soutien. Ghalia part pendant un mois à bord d’un Amtrak parcourir 18 états, déserts, océans, montagnes, city lights, des paysages qui seront inspirants pour la composition de son nouvel opus de 11 titres « One Woman Band ». En novembre, elle part à Memphis enregistrer au Royal Studio où Boo Mitchell, fils de Willie Mitchell, coproduira avec elle ce nouvel album.
«Pour « One Woman Band », je savais déjà quel son je voulais : le plus puissant possible pour justifier l’absence du groupe.»
G.V. : « Je savais déjà le son que je voulais : en set up One Woman Band, il était évident pour moi qu’il fallait que le son soit le plus puissant possible, pour justifier l’absence du groupe. Je décide donc d’utiliser 3 amplis : un ampli basse, pour reprendre les basses fréquences de la guitare, un ampli guitare chaleureux et « clean » pour la rondeur du son et enfin, un ampli des années 60′, que tu « crank » à fond pour obtenir une distorsion naturelle, comme le faisaient Magic Sam et Elmore James. Avec ces trois amplis, j’obtenais toutes les fréquences attendues au spectre sonore désiré. Il ne me restait plus qu’à assurer le côté rythmique en jouant de la grosse caisse, caisse claire, charleston et tambourin avec mes pieds pendant que je chantais et jouais de la guitare. Un beau challenge et une magnifique expérience ».
Ghalia Volt © Lola Reynaerts
En janvier 2021, Ghalia nous offre un album solo brillant, enregistré en une seule prise, aux sonorités Old School et Mississippi Blues. « Last Minute Packer », le premier titre, nous plonge dans une vie de baroudeuse, d’hôtels en hôtels, de concerts en concerts et empaquetage de dernière minute… Dans cet album on peut aussi entendre le son du roulement du train dans un désert Californien ainsi que la guitare endiablée de Monster Mike Welsch qui fait une apparition sur deux des titres, tout comme Dean Zucchero à la basse. Un groove, un rythme, une voix… Cette jeune femme époustouflante a toujours suivi ses envies et les réalise avec brio.
«Jimmy Duck Holmes m’apprend des choses qu’il a apprises de Jack Owen, que lui-même avait apprises de Skip James, et ainsi de suite… C’est ça que j’aime : l’héritage de cette musique qui est humble et modeste à tous les niveaux.»
Pour avoir fait un bout de route avec elle, je peux affirmer que Ghalia Volt est une femme passionnée et curieuse… Elle peut s’asseoir une heure au Blue Front Café, y écouter parler et jouer Jimmy Duck Holmes, et ensuite reproduire les notes qu’elle a entendues en les réadaptant à sa façon.
G.V. : « J’ai beaucoup appris en voyageant. Quand tu vas au Blues Front Café et qu’un musicien tel que Jimmy Duck Holmes s’assied, te prend la guitare des mains et te dit : « regarde, ça c’est le Bentonia Blues, tu dois rajouter cette petite touche là ». Il te montre, te rend la guitare et tu essayes. C’est intemporel, on se pose, on échange, il m’apprend… Il m’apprend des choses que lui a apprises de Jack Owens, que lui-même avait apprises de Skip James et ainsi de suite. C’est ça que j’aime ici, je n’ai jamais regardé des tutos sur YouTube ou dans des livres, j’ai regardé ces musiciens jouer et c’est ça l’héritage de cette musique qui est humble et très modeste à tous niveaux ».
La jeune femme apprend de ses musiciens qui sont une source d’inspiration. Elle est déterminée à vivre de sa passion et à la transmettre. Un parcours atypique passant des café-bars bruxellois aux scènes de la Nouvelle Orléans et du Mississippi.
Ghalia Volt © Lola Reynaerts
«Aux femmes de 2021, je leur souhaite d’être courageuses et de vivre leur passion.»
Enfin, je voulais profiter de l’expérience si singulière de Ghalia afin de savoir de ce qu’elle pensait de cette journée du 8 mars :
G.V. : « Une journée c’est bien, mais tous les jours c’est mieux ! En chaque personne homme ou femme se trouvent une beauté intérieure et une richesse. Ce sera l’altruisme, mais ce pourrait tout aussi bien être un talent, un trait de caractère, un sens de l’éveil, etc… Être de bonne nature est un travail qui se fait tous les jours. Tout le monde peut l’être… Comme tout le monde peut être beau. Mais les jugements sont vite là pour nous rattraper, et ce n’est pas grave. Il faut passer outre. Aux femmes de 2021, je souhaite d’être courageuses, vivre de leur passion, ne pas tenir leur langue en poche et de vivre pleinement. Si la femme du siècle précédent était opprimée et ne pouvait pas montrer ce qu’elle savait faire, la femme d’aujourd’hui et de demain doit être forte, puissante et surtout libre ! »
Ghalia Volt
One Woman Band
Ruf Records
(1) L’opération réunit cinq magazines européens autour du même thème, chacun présentant une jeune artiste de son choix… Outre la Bruxelloise Ghalia Volt (pour JazzMania), vous découvrirez cette semaine la guitariste anglaise Shirley Tetteh (London Jazz News), la pianiste allemande Clara Haberkamp (London Jazz News), la vibraphoniste française Melissa Acchiardi (Citizen Jazz), la bassiste belge Yannick Peeters (Jazz’halo) et la pianiste norvégienne Ingrid Steinkopf (Jazznytt).
Propos recueillis par Lola Reynaerts