Henri Texier Trio & Black Pantone à l’Open Music (Comines, 13/11/22)

Henri Texier Trio & Black Pantone à l’Open Music (Comines, 13/11/22)

Henri Texier © Sham

Dimanche 13 novembre, vers seize heures, coup d’envoi de la quatrième édition des Saturnales : une grosse poignée de concerts organisés, entre le 13 et le 29 novembre, par l’Open Music Jazz Club de Comines (qui fête, en plus, ses dix ans cette année !).

Pour l’occasion, on a mis les petits plats dans les grands (mais, pour qui connait la générosité des organisateurs, ce n’est pas la première fois) avec la venue du trio d’Henri Texier ! Excusez du peu.

Pour assurer la première partie, les programmateurs avaient repéré (avec l’aide de leur partenaire de Jazz en Nord) le groupe français Black Pantone. Le trio (Clémence Gaudin (cb), Antoine Bouchaud (p) et Martin Mabire (dm)) est originaire de Normandie et a obtenu ici ou là quelques belles récompenses et de belles critiques. Ils en sont à leur deuxième album.

Avec une énergie très communicative, le groupe, emmené par un Antoine Bouchard charismatique, attaque vivement (« XAV »?). S’ensuit « Tiens encore une ballade » qui joue sur une mélodie tout en retenue et en variations. C’est un jazz contemporain et élégant dans lequel on retrouve des influences venues des Balkans, de l’esprit d’un Avishaï Cohen (le pianiste) ou d’Esbjörn Svensson.

Sur « Chaos », introduit par un ostinato vif et énervé au piano, il faut souligner le travail à l’archet de Clémence Gaudin. On passe du délicat menuet à des sonorités un peu plus abrasives. Sur ce même morceau, on varie les tempos et on multiplie les breaks. Le trio dévoile ainsi différentes facettes de son jazz sans œillères. Il ne creuse d’ailleurs jamais le même sillon et pousse une tête du côté du rock, de l’ambient ou du classique. « Mr Henri », plus introspectif, s’égrène en « pointillés » et désarticulations, laissant paraître parfois de lointaines réminiscences de « Caravan ». Le trio est très complice et le plaisir de jouer de façon très intuitive est aussi évident que payant. Le drumming est subtilement dosé, il vient en soutien et garde la pulse qu’il partage avec une contrebasse souple et inventive, ce qui permet au piano (et quel piano !) de s’exprimer pleinement.

Parfois encore un peu trop éclectique, comme le démontre ce swinguant, joyeux et détonnant « Genatsvale » en conclusion d’un concert intense, Black Pantone fait preuve d’une belle personnalité qui ne demande qu’à s’affirmer encore un peu. Très belle découverte, en tout cas, et groupe à suivre assurément.

Black Pantone © Sham

Le temps d’une pause et de déguster une bonne Baptiste, le trio d’Henri Texier est déjà sur scène pour un concert en deux sets. Le public se presse aux premiers rangs. L’Open Music est plein comme un œuf.

Aux côtés du père Texier, il y a son fils, Sébastien Texier au saxes et Gautier Garrigue aux drums. Le jazz à Texier est reconnaissable entre mille. Au fil de sa longue carrière, le contrebassiste a bâti un son et un univers uniques. Il y a une respiration, un sens du timing, un rythme Texier. Cela ne s’explique pas. Cela se vit.

Dans son jeu, lui aussi très typé, Sébastien ne peut renier la filiation, et dans cette bulle musicale particulière, Gautier Garrigue s’y sent comme un poisson dans l’eau.

Si le trio est venu présenter Heteroklite Lockdown conçu durant l’interminable confinement, il commence cependant avec ce bon vieux « Laguna Veneta ». Ça balance et puis ça se promène avec nonchalance et détachement avec « Bacri’s Mood » qui rend hommage à l’acteur français. Une composition qui correspond parfaitement à l’esprit de ce dernier. Sébastien Texier joue dans « le haut » du sax (presque à la Desmond) tandis qu’Henri donne la pulse en sous-terrain. Le jeu est souple et tellement dansant. Les fameux glissandos ajoutent à la sensualité du jeu du contrebassiste. C’est encore plus évident sur ce « Round Midnight » de Monk plus émouvant que jamais. Moment suspendu !

Plein d’humilité et toujours prompt à mettre ses musiciens en avant (comme il me le disait entre les deux sets : « Sans eux, je ne suis rien »), Henri Texier laisse de la place au solos pleins de musicalité du batteur – qui alterne avec bonheur et intelligence la force et la délicatesse – et aux circonvolutions toujours inventives du saxophoniste. Personne n’est jamais dans l’excès, tout le monde est dans la justesse du partage et du dialogue constructif. Une leçon de jazz.

Vient ensuite « Izlaz », ondulant et vénéneux qui semble poser des questions existentielles : « Où sommes-nous ? », « Que faisons-nous ici ? », « Qu’allons-nous devenir ? ». On repart alors sur un thème plus enragé et engagé (« Fertile Danse »), qui flirte parfois presque avec le free et dans lequel on ressent tout le bouillonnement de la batterie (aux balais), la fièvre dans le sax et l’incendie qui s’y propage. Que dire alors de cette longue intro à la contrebasse, très inspirée, pour ce « Besame Mucho » qui vous tire les larmes ? Que dire de cette revisite d’« Amir » ou de ce « Cinecitta » en rappel ?

On sent l’envie constante de partager dans ce trio. L’envie de « dire ». De ne jamais se répéter, de faire avancer le discours. Tout cela paraît tellement simple, tellement évident. Du grand jazz moderne et exemplaire.

Vive les Saturnales et longue vie à l’Open Music.

Une publication de « Jazzques ».

Jacques Prouvost