Joachim Caffonnette : Sonnet d’automne
Ce troisième album de Joachim Caffonnette prend de nouvelles couleurs, notamment par la présence d’une section de souffleurs. Nous en parlons avec le pianiste.
«Enregistrer avec Noam (Israeli) et Jasen (Weaver) apporte la fraîcheur qu’on n’a pas nécessairement quand on a tourné avec un groupe pendant deux ou trois ans.»
La couverture de l’album ne manque pas d’humour : le musicien qui se gratte la tête devant une partition…
Joachim Caffonnette : On a fait un shooting photo et on a trouvé que celle-là était très bien avec son côté décalé.
Tu n’es pas allé chercher des musiciens de la sphère bruxelloise, belge, habituelle.
J.C. : Noam Israeli est israélien et a vécu à New York, Jasen Weaver est américain de la Nouvelle-Orléans. Il habite à Bruxelles depuis à peu près deux ans avec sa compagne belge qu’il avait rencontrée en Louisiane. Jasen, je l’avais rencontré avant la pandémie. Entre les deux confinements, j’ai invité Noam à faire une jam avec Jasen et moi, et ça s’était très bien passé, le courant est très vite passé entre nous. On a fait des petites sessions à trois chez moi sur des standards. Il y avait déjà le projet de faire un nouvel album avec le label Hypnote et cette occasion s’est présentée. Enregistrer avec eux apporte la fraîcheur qu’on n’a pas nécessairement quand on a tourné avec un groupe pendant deux ou trois ans. De plus, j’ai la chance qu’ils soient encore là pour la tournée.
«Les accords très serrés et la flûte alto font référence à Debussy et Stravinski qui m’inspirent beaucoup.»
Il y aussi trois souffleurs qui ajoutent une autre couleur à la musique.
J.C. : Il y a un petit temps que j’avais en tête d’arranger des morceaux avec des souffleurs, d’utiliser cette couleur qu’on trouve dans un de mes albums préférés « Speak Like a Child » de Herbie Hancock. Je n’avais jamais vu dans une discographie quelqu’un d’autre utiliser ce « blend » là, avec la flûte alto qui n’est pas souvent choisie. Je connaissais Hermon Mehari par les sessions qu’on a faites à Paris. Il vient de Kansas City, mais vit à Paris depuis quelques années. Quentin Manfroy m’a été recommandé par Jean-Paul Estiévenart. Et Edouard Wallyn, je le connaissais du Conservatoire et j’apprécie la chaleur de son son qui se marie bien avec l’ensemble. Ces accords très serrés et la flûte alto, ça fait aussi référence à Debussy, Stravinski qui m’inspirent beaucoup.
Il y a en effet une sonorité des instrumentistes, notamment avec Hermon Mehari.
J.C. : Il a un son singulier, associé à une grande maîtrise, le sens de la tradition de Bix Beiderbecke à Miles. Il est inscrit aussi dans le jazz d’aujourd’hui, il a une attaque très directe de l’instrument.
Tu reprends un standard sur l’album. Pourquoi celui-là en particulier ?
J.C. : C’est le hasard de la session. On a enregistré à Flagey dans une seule pièce dans des conditions un peu à l’ancienne. On a consacré une bonne demi-journée aux compositions originales avec les souffleurs, puis le lendemain matin avec le trio. Il nous restait un après-midi qu’on a consacré à jouer des standards. En réécoutant ces prises, on a trouvé que « On Green Dolphin Street » apporterait un bel équilibre à l’album, c’est un morceau qui va droit au but.
« Presidential Blues » semble très inspiré par Bud Powell. On parle aujourd’hui surtout des influences de Jarrett, Corea, Mehldau… mais ici tu reviens aux pianistes bebop.
J.C. : Tout à fait. Les pianistes que tu cites ont tous écouté Bud Powell, c’est un peu la base. Bud Powell est un pianiste que j’écoute tout le temps comme d’autres pianiste bebop : Barry Harris, Tommy Flanagan, Wynton Kelly… Quand j’étudiais avec Eric Legnini, il disait que c’est bien d’écouter les modernes, mais il faut voir aussi d’où ils viennent, il faut revenir aux sources. Quand on écoute le Brad Mehldau des premières heures, il joue comme Wynton Kelly, c’est intégré à son vocabulaire. « Presidential Blues » est un peu anachronique par rapport à ce qui se fait aujourd’hui. De plus, Noam et Jasen ont baigné dans cette culture, et c’est un peu pour cela que je les ai choisis. On joue d’ailleurs pas mal de standards en tournée. C’est une tradition qui reste centrale dans mon approche du jazz, plus que le jazz européen.
«Il n’est pas arrivé une seule fois que Noam et Jasen me disent qu’ils ne connaissent pas un morceau du répertoire américain que je démarre.»
Cette culture américaine, tu la ressens dans le jeu de la rythmique ?
J.C. : C’est clair qu’il y a cette culture. Jasen a grandi à la Nouvelle-Orléans, c’était un des protégés d’Ellis Marsalis, c’est quelqu’un qui connaît à fond le répertoire. Beaucoup d’Européens jouent sans connaître les standards, alors qu’ici avec Noam et Jasen, il n’est pas arrivé une seule fois qu’ils me disent qu’ils ne connaissent pas un morceau du répertoire américain. Et si je commence un morceau sans leur en parler, ils embraient. C’est un répertoire qui est moins valorisé chez nous. Noam, par exemple, me disait qu’en Israël, il avait un cours de standards, qu’ils apprenaient les paroles des morceaux. Ici au Conservatoire, même si c’est très chouette, on va directement vers de nouvelles compositions. Moi, ça me tient à cœur de jouer les standards.
«Mes deux grandes influences, ce sont le jazz et les impressionnistes. Ça m’a toujours touché.»
On ressent aussi dans l’album – notamment sur l’intro de « Endless Dreams » – ton attirance vers la musique classique impressionniste d’un Debussy.
J.C. : Mes deux grandes influences, ce sont le jazz et les impressionnistes, Debussy, Ravel, ça m’a toujours touché. J’essaie de faire cohabiter ce mélange de deux mondes dans la musique que je joue.
«Baudelaire m’inspire, je le relis de temps en temps.»
Dans l’album précédent, « Vers l’Azur Noir », il y avait une thématique sombre. Ici tu es tourné plus vers l’optimisme, même si les notes de pochette dénotent une certaine amertume et qu’on y retrouve une référence à Baudelaire.
J.C. : Ça se tient avec la période impressionniste. Que ce soit en musique, en poésie, en peinture, c’est une période qui me touche. Baudelaire m’inspire, je le relis de temps en temps depuis que je suis adolescent. C’est quelque chose qui me nourrit encore aujourd’hui. Dans « Endless Dreams », il y a les impressionnistes, mais en même temps des harmonies très modernes. Savoir d’où ça vient, c’est important pour créer de nouvelles choses.
En concert « extended » : A la Jazz Station de Bruxelles (le 29 septembre) et à l’An Vert (Liège) le 1er octobre.
Joachim Caffonnette Extended
Bittersweet Times
Hypnote