Jon Gomm, guitariste sans concession
Guitariste du Nord de l’Angleterre, totalement non-conventionnel, Jon Gomm s’est produit au Festival de Viljandi pour la seconde fois. Rejeté par certains, adulé par d’autres (il a même été nommé « meilleur guitariste acoustique au monde » par un site spécialisé), le personnage est haut en couleurs et son jeu déjanté ne laisse pas indifférent : la guitare est à la fois mélodie, solo, basse, percussion, effets électro par les jeux de clés… Rencontre avant son concert estonien.
Avez-vous un programme en tête lorsque vous débutez un concert ?
Jon Gomm : J’ai besoin de pas mal de réglages différents pour les chansons que je joue sur scène, j’ai donc besoin d’avoir une idée de ce que je vais jouer, sinon les réglages sont trop différents, il faut préparer les choses. Je joue quelques covers pour le plaisir mais en général, ce sont mes compositions. J’aime écrire et exprimer mes propres musiques.
Quels covers vous inspirent ?
J.G. : En ce qui concerne les covers, je joue aussi bien du disco que du funk, des choses que je ne jouerais pas autrement, juste pour le plaisir ! Ma propre musique est plutôt exigeante, je joue peu de covers finalement. C’est une musique très physique et ce que je joue est souvent très personnel. Avec les covers, ça me permet aussi de montrer toutes les faces de la guitare, comme la basse, ou les percussions. Le public reconnait le morceau et peut vraiment voir et entendre les différentes techniques que j’utilise.
«Déjà tout gosse, j’avais des difficultés à travailler, à structurer les choses, à m’intégrer dans un environnement.»
Non-conventionnel par la musique, mais aussi par la façon d’organiser votre vie musicale.
J.G. : Ce n’est pas vraiment un choix, c’est en fait ma seule façon de fonctionner. Ce n’est pas facile à expliquer… Déjà tout gosse, j’avais des difficultés à travailler, à structurer les choses, à m’intégrer dans un environnement. Je m’adaptais difficilement à l’environnement académique d’une école, et ça a continué dans ma vie quotidienne. J’ai vite senti que je devais être un « outsider ». Je ne me sentais pas apte à entrer dans un groupe parce que je ne communiquais pas facilement avec les gens, je n’utilisais aucun filtre, ce qui pouvait être difficile pour les autres… Donc, la meilleure chose pour moi était d’être en solo ! Ma façon de voir la musique est non-conventionnelle… Oui, je suis vite lassé des choses conventionnelles, ça m’ennuie. J’ai débuté la guitare très tôt. Ce que je trouvais excitant c’était de découvrir quelqu’un qui faisait de la guitare de façon différente… De là, mon style de guitare est devenu un mélange de tous les styles, de toutes les techniques…
Rien n’est écrit dans les livres de musique…
J.G. : Si, mais seulement les trois premières pages ! (rires) J’ai maintenant trouvé mon style qui consiste à se perdre dans la musique. Mon père avait une fantastique collection de disques, très éclectique. Il aimait le classique, le jazz, le rock progressif… Il aimait la musique émotionnellement très forte, comme le blues. Il était membre d’un club de disques qui lui envoyait chaque semaine un nouvel album qu’il devait choisir, ce qu’il ne faisait pas souvent et il recevait alors des choses qu’il n’écoutait même pas, comme Madonna. Mais moi je les écoutais, beaucoup de trucs pop, c’était un vrai mélange de genres que j’écoutais en éteignant les lumières de la pièce… J’aimais beaucoup le geste de poser l’aiguille sur le disque. J’aimais écouter ce qui était techniquement difficile, le reste m’ennuyait un peu… Je n’ai jamais aimé ce qui était trop facile (rires)…
«Le public est à la fois mon ami et mon thérapeute, mon frère ou ma sœur égarés…»
Quelle est la part d’improvisation dans votre musique ?
J.G. : Rien ! Sauf si je joue du jazz, mais dans ma musique, je n’improvise pas parce que j’utilise différents réglages. Mais même si vous écoutez des bluesmen, ils improvisent puis ils gardent les structures de leurs impros pour les rejouer. J’adore les grands solos de guitare, en metal, en rock, en blues… David Gilmour est un bel exemple du musicien dont le solo de guitare reste la partie dont on se souvient dans un morceau, et si je le vois sur scène, je suis parfois triste de ne pas entendre le solo que j’avais en mémoire. La chose la plus importante pour moi en concert est de communiquer avec le public, et d’être compris. Le public est à la fois mon ami et mon thérapeute, mon frère ou ma sœur égarés… et j’essaie de leur donner tout ce qu’ils ne savent pas sur moi. C’est ma façon d’improviser, j’adore faire rire le public, c’est ma façon de communiquer sur scène.
Vous êtes tellement peu conventionnel dans votre façon d’utiliser l’instrument qu’on se demande ce que d’autres guitaristes pensent de votre façon de jouer…
J.G. : Beaucoup de mes amis sont des guitaristes. Certains n’apprécient pas que je griffe ma guitare car ils pensent que je ne la respecte pas. Mais j’adore mes guitares, elles ont toutes un nom, j’y suis très attaché… Certains guitaristes n’aiment pas ce que je fais parce qu’ils sont très conservateurs, conventionnels. D’une certaine façon je me considère aussi comme traditionnel, je respecte la tradition à ma façon et certaines personnes du passé… C’est très important d’être sur les traces des racines. Ça me permet d’être connecté à l’histoire de la musique.
«Vous comprenez que je suis quelqu’un de compliqué.»
Y a-t-il des références à la musique traditionnelle dans ce que vous faites ?
J.G. : Sur scène c’est définitivement du folk anglais, dans le sens où c’est une musique sur les circonstances de votre vie, la façon de la rendre contient une histoire. Mais musicalement il n’y a pas beaucoup de background folk dans ma musique, ce serait plutôt le blues des années 60 et Joni Mitchell qui est très importante pour moi. Une grande guitariste qui n’est pas respectée en tant que telle parce qu’elle n’était pas une virtuose, mais elle expérimentait beaucoup. Je jouais du jazz enfant, mais aussi du grunge, Björk, il y avait la conscience que cette musique était importante en tant que concept. J’ai aussi quelques racines dans la musique punk, mais c’était plus une manière d’exister dans le monde, célébrer des gens sans aucun jugement, culturellement je veux dire… Vous comprenez que je suis quelqu’un de compliqué…
Vous êtes plutôt du genre à jouer dans des pubs que dans des salles de concerts…
J.G. : J’ai beaucoup joué dans les pubs, mais je joue dans toutes sortes de salles : rock, centres d’art, il n’y a pas de lieu en particulier… Les gens sont un peu les mêmes, où que je joue… J’ai voyagé dans le monde entier et j’ai toujours veillé à créer un pont entre les différences culturelles. La musique est centrale, même dans les pays où tout est contrôlé, ça dépasse la culture, c’est quasi biologique.
Vous jouez sur une guitare Ibanez.
J.G. : C’est ma guitare-signature Ibanez, cela a pris trois ans pour la créer, j’en suis très fier. Elle est unique, on a beaucoup expérimenté sur le son profond, pétillant, avec un large éventail comme un piano, de façon à créer une palette sonore étendue aussi sur le plan percussif. Les clés sont d’un fabricant de banjos. C’est un projet excitant, Ibanez est surtout connu pour la musique classique et dans le rock progressif, le rock metal. Il a fallu créer quelque chose de nouveau pour une guitare acoustique, on travaille toujours sur de nouveaux designs, ils sont vraiment au top.
Quel est le programme de ce soir ?
J.G. : Je ne sais pas ce que je vais chanter ce soir. Je pense que je vais jouer un ancien set que je n’ai plus joué depuis longtemps… On verra… Il y aura sûrement aussi des demandes de gens qui m’ont déjà vu…
Une collaboration Jazz’halo / JazzMania
Merci à Rene Jakobson pour les photos offertes durant le festival.