Laurent David, A Frenchman in New York
Laurent David / Kilter © France Paquay. Prise à l’An Vert, Liège, le 28 février 2020
Depuis un bon moment, Laurent David et moi on se croisait… Ça a commencé il y a un peu moins de cinq ans. A l’époque, il était venu à Liège nous présenter « IK » le premier album du power trio M&T@L. Sous ses faux-airs bourrus et avec ses t-shirts de fan métallo, Laurent est un garçon particulièrement attachant… et doué. A peine quelques jours avant notre mise en confinement forcée, et à peine quelques minutes avant qu’il ne prenne la petite scène de l’An Vert d’assaut avec le trio barge Kilter, nous avons enfin pu faire le point sur les projets qu’il multiplie et sur sa ville d’adoption, New York !
On te voit beaucoup en Belgique en ce moment !
Laurent David : Ça ne date pas de maintenant ! J’ai grandi près de la frontière. J’ai fait mes études musicales en partie à Valencienne… Depuis que je suis adolescent, je viens régulièrement jouer en Belgique…
Ce qui explique tes rencontres avec Stéphane Galland ou David Linx
L.D. : Non, ça, c’est venu longtemps après…
N’empêche, c’est pas fréquent de voir aussi souvent un musicien français chez nous…
L.D. : C’est tout à fait vrai… Je pense que le problème est plus étendu… Je veux dire par là que le musicien français en général s’exporte mal… C’est un fait, on a du mal à jouer en dehors de la France…
Ce qui ne t’a pas empêché de t’installer en partie à New York.
L.D. : Oui, j’y passe environ deux tiers de mon temps…
Comment ça se passe là-bas ? Raconte-nous la scène actuelle new-yorkaise.
L.D. : (enthousiaste) Bien sûr que je peux t’en parler ! Comme tu le vois, je suis venu ce soir à l’An Vert avec deux musiciens de Brooklyn. C’est excitant New York! Il s’y passe tellement de choses dans le domaine de la culture ! Et je ne parle pas que de la musique. Il y a aussi la peinture, les acteurs, … Des gens qui se donnent à cent pourcents pour leur art. Côté musique, tu as bien entendu l’aspect commercial, Broadway… Mais tu as aussi une multitude de petits clubs undergrounds où les artistes proposent une création pure… A New York, on vit pleinement son art, vingt-quatre heures sur vingt-quatre.
Y as-tu ressenti une rivalité avec d’autres scènes émergentes comme celle de Londres par exemple ?
L.D. : Honnêtement, je ne connais pas très bien la scène londonienne. Mais de ce que j’en ai vu, il n’y a rien de comparable. New York respire le jazz et toutes les musiques assimilées… Je n’ai pas ressenti cette impression et je n’ai pas vu ce foisonnement la dernière fois que je me suis rendu à Londres.
“Le musicien français en général s’exporte mal”
Plus particulièrement, en ce qui te concerne, comment es-tu arrivé au jazz ? Tu semblais plutôt te destiner au hard-rock, non ?
L.D. : (il rigole) Pas du tout !
N’empêche qu’il y a les codes, le visuel, les pochettes de certains de tes disques…
L.D. : (il respire un grand coup…) Attends, je vais t’expliquer. D’abord, j’ai commencé par le piano, très tôt. Je devais avoir à peine quatre ans… Je suis finalement arrivé à la basse en passant par la guitare. Mes parents recevaient régulièrement un de leurs amis qui jouait du picking. J’ai souhaité à mon tour jouer de la guitare. Ils m’ont alors inscrit au Conservatoire où j’ai d’abord étudié la musique classique. Mais je suis très éclectique. Je m’intéressait au hard-rock et au jazz que j’ai découvert en écoutant Philip Catherine. Bref, je travaillais mon instrument (la basse à ce moment-là) aussi bien en jouant sur les disques de Philip Catherine que sur ceux d’Iron Maiden…
Une personnalité bipolaire ?
L.D. : (il rit) Pire ! A mon tour, j’ai enseigné la musique… Je donnais des cours de musique latine ! La salsa, des choses comme cela… Bien sûr, j’aime le métal… Mais avant toute chose, pour moi, la musique est un ressenti. Quels que soient son genre, ses origines sociales. Si elle me touche, ça me suffit. C’est ce qui me plaît à New York. On ne te juge pas. Tu es libre d’écouter et de jouer ce que tu veux.
Parle-moi justement des deux musiciens qui t’accompagnent ce soir, au sein de Kilter.
L.D. : Tu as d’abord le batteur, Kenny Grohowski. Il peut tout jouer. Du métal, de be-bop… Ça ne change rien pour lui. Si il aime, il arrivera à se transcender… Puis au saxophone basse, il y a Ed Rosenberg III. Son instrument de prédilection est particulier. Plus grave qu’un saxophone baryton… Lui aussi s’intéresse à tout ! Il adore les musiques traditionnelles américaines. Mais il est aussi capable de composer un opéra… Et d’écouter du death-metal chez lui (rires). Tu comprends ? Ça, c’est typique de New York ! Là-bas, il n’y a aucune gêne… On se fiche du regard des autres.
Laurent David / Kilter © France Paquay. Prise à l’An Vert, Liège, le 28 février 2020
Peut-on dire que le ton s’est durci depuis M&T@L ? Kilter me semble un peu plus « gore » avec pourtant une configuration semblable (batterie / basse / saxophone – NDLR). Comment la définis-tu cette musique ?
L.D. : Très honnêtement, je ne sais pas trop comment la qualifier… J’ai déjà entendu le terme « doom jazz ». Pourquoi pas ? Ou jazz metal…
Un jazz core un peu dans le style de Pain Killer ?
L.D. : Non, Pain Killer, c’est encore autre-chose… En fait, c’est toujours compliqué de mettre un nom sur des musiques hybrides. Pour moi, Kilter, ça reste du jazz. On s’en inspire fortement et on y ajoute quelques ingrédients comme le metal.
Toujours ton côté bipolaire ou tripolaire, nous avons Shijin !
L.D. : (il se marre et corrige ma prononciation) [Chie-yin] ! C’est du chinois… Oui, un quartet plus conventionnel, avec Jacques Schwarz-Bart, Malcolm Braff et Stéphane Galland. On prépare une suite au premier album (publié chez Alter-Nativ il y a deux ans – NDLR). Si tout se passe bien, il devrait sortir en 2021. D’ici-là, nous aimerions faire l’un ou l’autre concert pour produire un clip… Si un lecteur de Jazz Around est intéressé… (sourire)
Et enfin nous avons le trio Extemporization, à nouveau avec Malcolm Braff aux claviers…
L.D. : Et Jean-Christophe Calvet aux drums… Tout autre-chose !
Tu peux nous en parler un peu ? Des projets ? (le trio avait recueilli les louanges d’un public conquis lors d’un concert au Centre culturel les Chiroux, fin janvier).
L.D. : Là aussi, on travaille sur un album à paraître en 2021… Il s’agit d’une musique entièrement improvisée. Comme nous nous connaissons assez bien, nous utilisons des codes entre nous lors des concerts. On essaye de semer le doute chez les spectateurs qui se demandent si tout est réellement improvisé ou pas. C’est notre objectif. Il y a une sorte d’esthétisme qui ressort de notre musique…
Lors du concert d’Extemporization auquel j’ai eu la chance d’assister, je me souviens de tes mots qui introduisaient le dernier morceau du set – « On vous fait un dernier morceau… Mais nous sommes incapables de vous dire combien de temps il durera ! »
L.D. : C’est exactement ça! On pourrait très bien l’achever après cinq minutes ou l’étendre sur une heure… Évidemment, il faut un minimum de structure. Nous utilisons des automatismes qui se créent avec le temps entre nous.
“A New York , tu es libre d’écouter et de jouer ce que tu veux. On ne te juge pas”
D’autres projets ?
L.D. : Oui, via la chaîne Youtube du label Alter-Nativ. Nous avons enregistré quelques capsules vidéos consacrées à l’atmosphère qui règne à New York : « The Way Things Go ». Il y a des interviews, des sessions en studio, avec comme objectif, le portrait de seize musiciens. On démarre avec le guitariste israélien Idan Morin. On verra si cela peut prendre de l’ampleur. New York est un endroit si particulier !
Comment as-tu atterri là-bas ?
L.D. : New York, c’est le fantasme de pas mal de musiciens… J’y suis allé pour la première fois il y a quinze ans environ. Depuis, j’y retourne très régulièrement. Contrairement à la côte Ouest, nettement plus « américanisée », à New York, tu rencontres des gens qui viennent de partout dans le monde ! Cette ville m’attire comme un aimant !
Une chaîne Youtube… C’est le nouveau business de la musique ?
L.D. : Je pense pas que le support physique soit tout à fait mort. Je continue à vendre des cédés. Ils me permettent d’amortir une partie non négligeable du coût des tournées. Les gens aiment bien conserver un souvenir palpable du concert qu’ils ont vu. Le vinyle demeure intéressant. Pour la beauté de la pochette, tout ce rituel qui consiste à te lever de ton fauteuil pour mettre la face B… C’est un peu comme un bon cigare. Tu ne le fumes pas au coin d’une rue sans intérêt… Non, tu t’installes, tu te mets à l’aise… Pour profiter pleinement du moment qui vient… (sourire carnassier).
L’actualité de Laurent David se décline en ce moment sur deux fronts différents :
• L’album « Axiom»
Kilter
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Axiom
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Alter-Nativ
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Chronique JazzMania
• The Way Things Go – New York : Épisode 1 « The Hemingway Cat » et Épisode 2 « Pluto Is Not Just Rock ». Capsules vidéos à voir sur la chaîne Youtube du label Alter-Nativ.
Propos recueillis par Yves «JB» Tassin
Merci à France Paquay pour les photos…