Majid Bekkas : Joudour
Le musicien marocain Majid Bekkas, je l’ai découvert via l’album « African Gnaoua Blues » sorti en mai 2002 sur Igloo. Avec l’appui des guitares de Paolo Radoni et de Marc Lelangue, Majid y proposait des chants lancinants issus de la tradition gnaoua, dont les racines sont en Afrique de l’Ouest mais qui s’est ensuite perpétuée dans les pays du Maghreb. Une musique basée sur la gamme pentatonique qui présente des analogies aussi bien avec les premiers country-blues du Delta du Mississippi qu’avec le vaudou haïtien ou les mélopées sonrai d’Afel Bokoum. Depuis, Majid Bekkas a fondé de nouveaux projets et a enregistré, sur différents labels, une vingtaine d’albums aux côtés de jazzmen prestigieux comme Flavio Boltro, Joachim Kühn, Ramon Lopez, Klaus Doldinger, Louis Sclavis, Benoît Delbecq et d’autres. Ainsi, si sa musique reste pétrie dans la tradition. Majid l’a aussi intelligemment mixée à diverses cultures : blues, jazz, apport oriental et percussions africaines témoignent à la fois des origines du gnaoua et des accommodations qui lui ont été apportées sur différentes terres d’accueil.
Vingt années plus tard, le label Igloo fête l’anniversaire d’« African Gnaoua Blues » en sortant « Joudour » (qui signifie « Racines »), une collection de onze nouveaux titres enregistrés avec divers invités. Evidemment, le fond musical n’a guère changé au fil des ans : à la base, ce sont toujours les mêmes chansons envoûtantes du désert, accompagnées par une guitare, un oud ou un guembri, ainsi que par des percussions diverses. Conçu pendant la crise sanitaire, l’album a été enregistré par Majid à Salé (Maroc) et les compositions ont ensuite été transmises à plusieurs musiciens qui les ont enrichies en incrustant leurs parties. Travaillant en solitaire, Majid lui-même en a profité pour ajouter de nouvelles couleurs en jouant aussi du ngoni, du bouzouki, du kalimba et du balafon.
Sur l’ensorcelant « Ahia Mhanti », Manuel Hermia a apporté son bansuri (une grande flûte traversière indienne en bambou) dont le son grave se mêle parfaitement à celui des autres instruments et en particulier à celui cristallin de la kora de Mbemba Diabate. « Desert Swing » est mis au goût du jour par les claviers de l’Autrichien Michael Hornek, spécialiste du jazz fusion au sein du groupe Passport de Klaus Doldinger. Sur la plupart des titres, les rythmes ondulants sont assurés par l’Algérien Karim Ziad, grand défenseur de la culture gnaoua et gardien du temps pour des groupes majeurs comprenant Joe Zawinul ou Nguyen Lê. Mais l’album se referme par un retour à la source : « Barma Sousangdi » est une composition épurée, interprétée par Majid Bekkas, seul avec sa guitare, en hommage à une population d’Afrique de l’Ouest.
Outre le plaisir direct qu’il procure, « Joudour » établit des ponts entre le passé et le futur d’une culture ancestrale riche d’histoire et imprégnée de spiritualité. Un album à ranger précieusement aux côtés de ceux, déjà cultes, d’Ali Farka Touré et Ry Cooder (« Talking Timbuktu »), de Taj Mahal et Toumani Diabaté (« Kulanjan »), et d’Ahmed Abdul-Malik (« Jazz Sahara ») !
En collaboration
avec le magazine DragonJazz
Retrouvez notre interview de Majid Bekkas sur JazzMania ce mercredi 7 décembre.