Matthew Halsall : le rassembleur
Ce qui frappe chez Matthew Halsall ? Sa discrétion, son humilité… Cet homme est clairement impliqué dans le renouveau du jazz britannique. En qualité de producteur tout d’abord, en dirigeant le label mancunien Gondwana (Portico Quartet, Gogo Penguin, Mammal Hands, …). Mais aussi par sa propre musique, qu’il joue depuis une petite quinzaine d’années. C’est certain, Matthew avait des choses à nous dire… Que l’on se réjouissait d’entendre.
Matthew Halsall © Emily Dennison
«J’aime rassembler, je rejette l’élitisme. Je souhaite que les auditeurs se sentent à l’aise quand ils écoutent ma musique.»
La première fois que je t’ai vu et entendu, c’était au C-Mine Festival, à Genk, en Belgique. Il y a dix ans…
Matthew Halsall : Je me souviens très bien de ce festival ! C’était la première fois que je jouais en Belgique. Les organisateurs étaient aux petits soins pour nous. Nous nous étions sentis comme les rois de la soirée !
Je m’étais clairement dit : « Voilà la musique que je ferais découvrir à quelqu’un qui est réticent au jazz ».
M.H. : J’aime l’idée que les gens, de façon générale, se sentent appartenir à une communauté. Je suis plutôt inclusif. J’aime rassembler, je rejette l’élitisme. Je souhaite que les spectateurs ou les auditeurs se sentent à l’aise quand ils écoutent ma musique. Tout le monde est le bienvenu !
Déjà à l’époque, tu te nourrissais d’influences exotiques. On pense à l’Inde. Avec Coltrane et Miles pas trop loin…
M.H. : La musique est un échappatoire… C’est intéressant de voyager avec elle. En fait, j’essaye de créer un univers à l’attention de celui qui l’écoute. Comme compositeur, j’aime explorer de nouveaux sons, puis emmener l’auditeur en voyage avec moi.
«J’ai découvert de fantastiques musiciens à Manchester. Le plus simple, pour leur offrir une mise en valeur, c’était de leur demander de jouer avec moi.»
Outre le jazz modal, je ressens des affinités pour des musiciens venus de l’horizon pop. Je pense à Mark Hollis en particulier.
M.H. : Mark Hollis ? Je suis désolé, je ne vois pas de qui il s’agit… Ma culture « pop » s’arrête au sixties : les Beatles, les Stones, Hendrix… Je n’en connais pas beaucoup plus… (le lendemain, je lui enverrai un fichier contenant « Spirit in Eden » de Talk Talk afin qu’il découvre Mark Hollis – NDLR).
As-tu créé le label Gondwana avec l’intention de promouvoir spécifiquement les musiciens de jazz de Manchester ?
M.H. : A l’époque, je fréquentais régulièrement un club de jazz de Manchester : The Marc and Fred’s Jazz Club. J’y ai découvert des musiciens fantastiques. Ça m’a donné en effet l’envie de leur offrir une mise en valeur. Le plus simple, c’était de leur demander de jouer ma musique, de les impliquer dans ce que je faisais.
«Nous avons démarré le label Gondwana avec un très petit budget, mais surtout avec la motivation et le plaisir de jouer.»
Te doutais-tu que ton label aurait une portée internationale ? Aujourd’hui, Gondwana occupe d’autres bureaux en Europe. Tu produis des artistes venus d’autres pays…
M.H. : Non, je n’y pensais pas du tout ! Je me sentais bien dans ma petite communauté, j’étais loin de me douter que ça prendrait cette ampleur… Avant toute chose, c’était le processus créatif qui m’intéressait. Nous avons démarré avec un très petit budget, mais surtout avec la motivation et le plaisir de jouer. C’est la passion pour la musique qui nous portait.
Matthew Halsall © Emily Dennison
Matthew Halsall © Emily Dennison
La pianiste polonaise Hania Rani semble promise à une belle carrière internationale. Comment l’as-tu découverte ?
M.H. : Hania est la première artiste avec qui nous avons signé un contrat suite à l’envoi d’une démo. Elle était une fan des musiciens que l’on retrouve sur le label. Elle nous a envoyé cette démo non pas pour qu’on lui signe un contrat, mais bien pour qu’on lui donne notre avis sur sa musique… Nous sommes immédiatement tombés sous le charme de sa musique et sur la qualité de ses compositions !
«Nous avons suffisamment de matériel pour sortir trois albums. On attendra le moment idéal. »
Je vois des similitudes entre la nouvelle scène anglaise et la nouvelle scène flamande. Tu t’y intéresses ?
M.H. : En vérité, en Belgique, je ne connais pas grand monde… Oui, Melanie De Biasio… J’aimerais découvrir davantage la scène flamande. Bien sûr, il y a les membres de Stuff. avec lesquels j’ai animé des soirées DJ… (le groupe gantois figure au catalogue de Gondwana – NDLR). Je comptais justement découvrir tout ça et travailler un peu avec eux lors d’un séjour en Belgique. Le COVID m’en a empêché…
Venons-en à ton dernier album : « Salute to the Sun ». Il a été enregistré dans des circonstances particulières, avec un nouveau groupe que tu as formé pour cette occasion…
M.H. : C’est le fruit d’un long processus… Nous étions fort liés avec les anciens membres du groupe, parfois depuis dix ans… Mais certains musiciens ont déménagé, à Londres ou même au Qatar pour l’un d’entre eux. J’ai assisté à de nombreux concerts, des jams. J’ai demandé à des amis du milieu de me présenter de jeunes musiciens susceptibles de partager les mêmes passions pour ce type de musique. Des musiciens prêts à me suivre dans cette aventure. J’avais une exigence : enregistrer et répéter toutes les semaines et effectuer une résidence une fois par mois à Manchester pour jouer notre répertoire en « live ». Ça a été une période fructueuse : nous avons suffisamment de matériel pour publier trois albums. On attendra le moment idéal.
Matthew Halsall © Emily Dennison
«Ces derniers temps, j’ai consacré beaucoup de temps au label, en restant dans l’ombre. Mais à présent, je compte bien sortir un album chaque année !»
Finalement, tu ne publies pas beaucoup d’albums à ton propre compte.
M.H. : Ces derniers temps – je dirais ces cinq dernières années – j’ai consacré beaucoup de mon temps au label. J’ai passé davantage de temps dans l’ombre, pour organiser tout ça, et j’y ai pris du plaisir. Nous avons aussi eu la tournée qui commémorait les dix ans du label. Dix ans, dix concerts dans dix villes différentes… Mais à présent, je compte bien sortir mon album chaque année !
«Pour les sessions de « Oneness », je voulais une ambiance calme… Nous jouions dans un bâtiment industriel avec de grandes fenêtres. C’était baigné de belles lumières…»
« Salute to the Sun » suit d’un an une magnifique compilation de tes premiers enregistrements demeurés inédits : « Oneness ». Ceux-ci datent d’une petite dizaine d’années.
M.H. : C’est un peu spécial… Ce sont les premières sessions que j’ai connues avec mon groupe, à Manchester. Je cherchais le moyen de jouer cette musique de façon méditative. C’est d’ailleurs pour cela qu’on lui attribue des influences de la musique indienne. Je voulais une ambiance calme, relax… Nous jouions dans un bâtiment industriel avec de grandes fenêtres, c’était baigné d’une belle lumière. La musique de « Oneness » est très spirituelle. Je suis vraiment heureux qu’on ait attendu tout ce temps avant de la publier. C’était le bon moment ! (Matthew trouvait que ces enregistrements étaient « trop subtils » pour être publiés en début de carrière – NDLR).
Matthew Halsall © Emily Dennison
On percevait déjà assez bien quelle voie tu souhaitais donner à ta musique dans le futur…
M.H. : Oui, certainement. En fait, j’enregistre beaucoup, mais je ne publie que la moitié de ce travail. Je préfère attendre le moment propice pour sortir le disque. Parfois, j’aime beaucoup ce que nous venons de jouer, mais je sens aussi que ce n’est pas le bon moment pour en faire un album… Il me reste pas mal de bandes non exploitées, que j’avais enregistrées avec le premier groupe. Par contre, « Salute to the Sun » est sorti peu de temps après avoir été enregistré.
«J’aime beaucoup la harpe, son côté curatif et paisible…»
La harpe et la méditation sont deux instruments atypiques dans le jazz… Ta signature ?
M.H. : J’aime beaucoup cet instrument, son côté curatif et paisible. Le premier harpiste que j’ai connu était Stan Ambrose. Il devait avoir quatre-vingts ans à l’époque. Un homme particulier et généreux, qui jouait dans les hôpitaux pour soulager la douleur des malades. Il jouait également dans les cafés de Liverpool pour se nourrir… C’est lui qui m’a donné le goût pour la harpe, tout comme Alice Coltrane bien entendu. (Stan Ambrose est décédé il y a un peu moins de cinq ans – NDLR). La harpe m’apporte en effet ce côté spirituel, ce flux organique…
En cette période de crise pour le disque, tu continues à présenter de beaux objets, des pochettes de vinyle très soignées.
M.H. : Je passe pratiquement autant de temps à réfléchir aux pochettes qu’à enregistrer (rires). Je travaille avec mon frère qui est illustrateur, et avec un graphiste pour créer les typographies…
«On a détruit notre planète, et c’est elle qui nous force aujourd’hui à réfléchir. Ma musique est une invitation à nous connecter avec la nature.»
Que t’inspire la crise sanitaire que nous vivons en ce moment ?
M.H. : Plus que jamais, nous avons besoin d’être solidaires les uns avec les autres. On a détruit notre planète, et c’est elle qui nous force aujourd’hui à réfléchir. Ma musique est une invitation à nous connecter avec la nature. Je le pensais déjà avant la pandémie… Elle n’a fait que renforcer cette conviction. J’aimerais, par ma musique, conscientiser les gens par rapport aux problèmes environnementaux.
Les concerts vont reprendre, on l’espère. Des dates prévues sur le Continent ?
M.H. : Oui, j’ai beaucoup de dates prévues à partir du mois d’avril. Dont le Mithra Jazz Festival à Liège, en septembre.
Un grand merci à Diane Cammaert pour la traduction !
Matthew Halsall
Salute to the Sun
Gondwana Records
Propos recueillis par Yves Tassin