Michel Mainil : Réflexions sur le confinement lié à la crise Covid
Le saxophoniste / clarinettiste louviérois nous fait par de ses sentiments et de ses réflexions… Au cœur de la crise sanitaire et au lendemain d’un projet consacré à la mémoire du poète chilien Victor Jara.
Michel Mainil & Lisa Rosillo © Robert Hansenne
et la création
Pour ma part, cette période léthargique m’a amené à la réflexion, me forçant ainsi à me plonger, au hasard de certaines informations reçues, dans la lecture d’ouvrages dont j’ignorais l’existence jusqu’alors. C’est pour moi l’un des rares côtés positifs de la pandémie.
Ainsi je découvre Nassim Nicholas Taleb. Ecrivain d’origine libanaise, essayiste et surtout statisticien réputé, ce partisan de l’incertitude va développer dans son essai « Le Cygne Noir », une théorie selon laquelle un événement imprévisible peut entraîner des conséquences majeures. Cet événement, pour autant qu’il soit d’une nature exceptionnelle, n’entrera pas dans des calculs classiques de probabilités. D’abord utilisée dans le domaine de la finance, Taleb pourra transposer cette théorie à d’autres moments clefs de l’histoire, comme l’arrivée d’Internet, les attentats du 11 septembre, la crise financière de 2008 ou la pandémie qui nous occupe en ce moment.
Jusqu’au 17ème siècle, les cygnes étaient blancs. Personne n’avait jusqu’alors vu un cygne d’une autre couleur. C’était une certitude ancrée dans l’intelligence collective depuis la nuit des temps. On en a déduit que tous les cygnes étaient blancs et rencontrer un contre-exemple serait d’un acabit aussi insensé que vérifier si les poules ont des dents.
Or, vers 1697, des explorateurs allemands découvrent une colonie de cygnes noirs en parcourant les déserts australiens. C’en est fait de la certitude. Place au doute et à la théorie de la réfutation.
A l’origine, Taleb appliquera cette déduction au monde de la finance. Ce n’est pas parce que les marchés enregistrent constamment une évolution positive qu’un événement imprévisible ne pourra pas tout faire dégringoler.
En 2020, alors que pour une infime partie du monde, tous les indicateurs de croissance semblaient des plus solides, il suffira de l’apparition d’un cygne noir pour que tout ou presque soit à l’arrêt. Immédiatement. Ceux qui soufflent le chaud et le froid dans la haute finance n’ont rien vu venir. La puissance de l’imprévisible, seule chose capable de bouleverser de manière radicale et extrême les habitudes comportementales de l’individu, en dehors de toute prédiction.
Pourtant, dès les années 90, des spécialistes présageaient déjà l’apparition probable de contagions planétaires dues à la globalisation et à la frénésie des échanges. L’épisode du H1N1 en est un exemple. Tous les gouvernements ont été alertés de cette possibilité. Qu’importe, à la lumière de ce que nous vivons aujourd’hui, force est de constater que la plupart des dirigeants de ce monde, pris de court, n’ont eu d’autres alternatives que d’imposer un confinement généralisé. L’Histoire nous dira si c’était à tort ou à raison. Reste à espérer que l’expérience de cette crise servira de leçon pour le futur.
Ce n’est un secret pour personne, la période pandémique que nous traversons impacte durement le monde artistique.
Malgré cette tourmente sans précédent, les artistes, chacun à leur niveau, essaient vaille que vaille de maintenir la tête hors de l’eau. Pour nombre d’entre nous qui avons la chance de ne pas être trop affectés financièrement (jusqu’à quand ?), cela peut se traduire par une période propice à la création.
C’est notre cas… Avec Lisa Rosillo, Alain Rochette, Nicholas Yates et Antoine Cirri, nous avons pu mener à bien, in extremis entre les deux confinements, un projet qui nous tenait à cœur depuis longtemps : l’enregistrement d’un CD en hommage à Victor Jara.
Nous rendons ainsi hommage à ce poète et musicien chilien, lâchement assassiné pour ses principes par les milices de Pinochet, à peine quelques jours après le renversement de Salvador Allende en 1973. Il était important pour nous de remettre en lumière cet humaniste résistant, homme de cœur, trop tôt disparu. En quelque sorte un devoir de mémoire… Certes, nous l’aurions fait même si ce virus ne s’était invité durant cette maudite année 2020. Mais peut-être différemment, en prenant moins de temps pour le réaliser, chacun pris par nombre de projets s’enchevêtrant les uns les autres. Qui sait ?
En attendant, gageons que les temps qui s’annoncent nous inondent à nouveau d’ondes plus positives, bien précieuses en cette période semée d’incertitudes.
Michel Mainil
Michel Mainil © Robert Hansenne
Michel Mainil © Robert Hansenne
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Michel Mainil Quartet & Lisa Rosillo
Victor Jara, le poète au chant libre
Travers Emotion
Propos recueillis par Claude Loxhay