Nathalie Loriers, ebony and ivory…

Nathalie Loriers, ebony and ivory…

Dix lustres d’ébène et d’ivoire.

 

« Continuer à prendre du plaisir en faisant de la musique » :

Nathalie Loriers revient sur certains moment-clés d’une (encore) jeune  carrière… Et nous annonce un nouvel album avec Tineke postma.

Ta première rencontre avec le jazz ?
Je me souviens d’une partition classique derrière laquelle il y avait quelques mesures de Duke Ellington, c’était une publicité pour acheter la partition, et il y avait des harmonies auxquelles je ne comprenais rien, je les ai jouées et j’adorais ça.  Au cours de piano classique à Huy,  le directeur m’a entendu jouer ces accords et m’a dit « T’aimes bien le jazz ? Peut-être qui sait, une prochaine jazzwoman ! » Je devais avoir quatorze-quinze ans, c’est le premier contact avec le jazz. Après,  j’ai vu des gars qui jouaient sur une place aux Fêtes de Wallonie, du New Orleans, avec Hinderik Leeuwe  et je me demandais comment ils faisaient, j’adorais les rythmes. Et puis, mon tout premier concert de jazz, c’était  Steve Houben avec  cordes à Dinant, il y avait aussi Michel Herr ; là, c’était magique. Lorsque je suis entrée au Conservatoire de Liège, j’ai vu que Steve Houben donnait un séminaire de jazz et c’est là que ça a vraiment démarré, avant cela, je ne connaissais pas grand-chose. En allant à Liège, je me suis retrouvé avec Alain Pierre dans le train qui m’a proposé de participer à un spectacle sur Boris Vian avec le séminaire de jazz. 

Tu as rencontré Eric Legnini à Huy.
Au début, j’ai suivi les cours de musique à Andenne, puis je suis passée à Huy où j’ai vu Eric Legnini pour la première fois, on passait les examens de solfège en même temps puisqu’on se suivait dans l’alphabet.

Tes trois premiers disques sont en quartet avec des saxophonistes ; pour une pianiste déjà considérée dans le milieu, tu as attendu pas mal de temps avant de te lancer dans le trio.
Oui, mais le  trio est beaucoup plus difficile à gérer musicalement, je n’étais pas prête pour faire ça. 

Est-ce qu’une expérience comme avec Lee Konitz  a apporté quelque chose pour ton jeu en trio ?
L’expérience avec Lee Konitz m’a ouvert une porte sur la liberté que j’avais déjà un peu expérimentée à la maison, mais là je le vivais de façon vraiment réelle. Il avait une façon d’aborder les standards  très ouverte,  sans dire ce qui allait se passer, il n’y avait pas de schéma préconçu. En studio, je me souviens qu’il a dit « Let’s play something ! » et j’ai demandé « Quoi ? » et il m’a répondu « Tu verras ! », c’était un morceau complètement libre qui a donné le titre de l’album « Discoveries », et c’était super de procéder de la sorte. C’était du free jazz sans avoir la couleur thérapeutique du free, le côté déjanté. Je faisais déjà ce genre de chose à la maison ; je me souviens que Diederik Wissels me demandait ce que je faisais, mais je ne le savais pas vraiment ! Il m’avait alors dit que je devais travailler ce côté-là de la musique. C’est devenu une de mes marques de fabrique, ce qui ne m’empêche pas de composer et d’insérer ça dans le jeu.  Lee Konitz m’a beaucoup inspiré dans cette voie. 

Une méthode que tu appliques encore aujourd’hui.
Oui, dans mon nouveau disque avec Tineke Postma, on était dans la salle du Conservatoire de Liège, avec mes compositions,  et j’ai dit à Tineke : « Maintenant, on va faire des miniatures, une improvisation libre à nous trois »,  parce que ça nous reconnectait entre nous trois, en dehors de tout schéma. Je lui ai proposé de faire quelque chose en la mineur qui fonctionnerait bien avec une composition, puis, j’ai proposé une autre miniature en demandant à Tineke de commencer. On en a fait trois où chacun débutait et les autres s’adaptaient à ce qui se passait, et ça se trouve maintenant sur le disque qui va sortir la semaine prochaine pour la tournée. Quand on a joué ces miniatures, Tineke qui pourtant a une fameuse expérience comme musicienne, m’a dit qu’elle n’avait jamais fait ça ! Et quand on a réécouté ensemble ces miniatures, on a trouvé qu’il n’y avait rien à redire ! Je suis convaincue que c’est une méthode qui canalise les gens, qui les remet ensemble. 

Parle-nous de ce nouvel album.
C’est un disque studio, mais  pas vraiment, on n’a pas de casque sur la tête etc… On avait joué en janvier dernier dans la salle de la Philharmonie de Liège où le piano est extraordinaire et l’acoustique fantastique, et j’ai voulu enregistrer là ; je voulais vraiment avoir un rapport au son, tout comme pour la première rencontre avec Tineke en Gaume. On joue vraiment et il y a très peu de réparations possibles ; à la limite, on peut reprendre une coda si on l’a ratée, mais à part ça, on ne peut rien modifier. On n’a rien réécouté sur place, on a joué sur les sentiments qu’on avait au moment même, comme une sorte de semi-live. 

Pour en revenir à Konitz, Tineke Postma a de forts accents konitziens.
Tout à fait. Surtout à l’alto et dans les morceaux plus swing. C’est moins évident dans les thèmes plus lents où elle me fait parfois penser à Wayne Shorter au soprano ; à certains moments pendant l’enregistrement, elle m’a fait penser aussi à Garbarek, pourtant elle n’est pas du tout dans cette direction. Tout le monde à des influences conscientes ou inconscientes. 

Tes influences à toi ont-elles évolué ? Dans une interview de 1996, tu citais Jarrett, Corea, Wynton Kelly, Oscar Peterson…
Il n’y pas que des pianistes qui m’ont influencée, il y a aussi des guitaristes comme Jim Hall ou Pat Metheny que j’adore. Sonny Rollins m’influence beaucoup aussi, dans l’écriture. Un pianiste comme Enrico Pieranunzi a sûrement laissé une empreinte dans mes doigts, dans son phrasé. Dans les plus modernes, je n’éprouve pas le besoin d’écouter beaucoup de choses, je ne vais pas vers eux naturellement. On me demande parfois si j’ai écouté untel ou untel, mais je ne connais pas bien. Quelqu’un qui m’a marqué ces dernières années c’est Fred Hersch. Il est venu au Conservatoire de Bruxelles faire une masterclass et il développe une façon de concevoir la musique très intéressante, ça m’a vraiment inspirée, bien que je ne joue pas vraiment dans sa direction, il a un jeu très particulier à plusieurs voix, mais ça m’a ouvert l’esprit sur plein de choses. Je l’ai vu  à Bruxelles, et c’est un pianiste qui a une maîtrise de ce qu’il fait,  c’est très beau… Pour moi, il devrait être aussi star que Jarrett.  L’univers de Bobo Stenson me parle beaucoup aussi : il a un jeu de piano plus brut , mais l’organisation du trio est plus organique, je les ai vus plusieurs fois et pour moi, ça a été une expérience terrible parce qu’il part de rien et tout se construit à trois . Cette sensation, je l’ai eue aussi avec le quartet de Wayne  Shorter où il y a une dimension de la musique, une philosophie de l’improvisation que j’aime beaucoup. Quant aux pianistes plus récents, ils font des trucs très compliqués, Tigran Hamasyan ou Brad Mehldau, ça ne m’attire pas des masses, ça m’éblouit, ça a un niveau incroyable, mais ça ne me touche pas, c’est trop cérébral, je trouve qu’il y a une partie du jazz qui devient trop intellectuelle. Je ne dis pas que la musique ne doit pas être intelligente, mais il y a le côté organique qui m’appelle plus, sans tomber dans le free jazz. J’aime qu’il y ait une forme, une harmonie, une mélodie qui se crée, une musique où tout n’est pas détruit. 

Parlons de ton expérience avec le BJO (« Brussels Jazz Orchestra ») qui dure maintenant depuis quatorze ans. L’as-tu pensée comme un « one shot » au départ ?
Je n’avais rien prévu au départ… De toute façon, dans ma vie de musicien, rien n’est prévu… J’espère juste faire de la musique le plus longtemps possible et continuer à avoir du plaisir à le faire. Tout ce que j’ai fait s’est fait par rencontres hasardeuses, comme avec Tineke Postma, je n’avais pas prévu cette rencontre.  Quand Frank Vaganée m’a proposé de remplacer Christophe Erbstösser, j’ai accepté, mais j’ai eu des moments de doute parce que ça demande une démarche différente de celle que j’avais jusqu’alors, et aussi beaucoup de boulot. Ça m’a permis de faire des rencontres importantes comme celle de Maria Schneider, c’est un monde de compositions, de sonorités, de voicings, c’est quelque chose qui me porte vraiment beaucoup. Avec le BJO, c’est un métier que j’ai appris, la rencontre avec Bert Joris qui est un musicien exceptionnel aussi, qui me nourrit aussi dans ce que je fais à côté du BJO. David Liebman a aussi été une vraie baffe dans la gueule, une personnalité avec sa dureté d’Américain, quelqu’un qui ne triche pas et qui m’a aussi apporté énormément de choses ; on a joué en duo, c’est un véritable ouragan, il faut le suivre.

Si  je te demande ce qui se passera pour toi dans un an…
Je ne sais pas, je ne saurais pas dire… C’est peut-être un peu mon défaut… Car même quand je prévois des choses, cela change parfois complètement en route, il y a toujours un élément qui fait que ça se passe autrement, alors je m’adapte. Avec Tineke, on a fait un disque et puis maintenant il y a une tournée…Ah bon ? Alors, je me dis que le disque a déjà trois ans et qu’on en referait bien un, et voilà, c’est parti ! Donc, j’ouvre les portes, mais je ne provoque pas les rencontres, je suis peut-être trop timide… 

Pour ton concert anniversaire, tu choisis la Ferme de la Dîme.
C’est un chouette lieu où il y a une chouette atmosphère. J’aurais pu le faire à Bruxelles à la « Jazzstation » ou au « Sound s »…J’ai des amis et de la famille qui ne seraient pas venus… J’y ai joué avec Steve Houben et Catherine (de la Dîme) m’a demandé pourquoi ne pas faire mon anniversaire ici… J’espère que les gens qui ont la « Bruxellite » se déplaceront… 

Propos recueillis par Jean-Pierre Goffin

Happy 50′ Birthday – 31 Octobre – 21h00
Nathalie Loriers trio plus Steve Houben and a big jam session
FERME DE LA DÎME
Rue Baron Dobin 248 à 4219 Wasseiges

Pour toutes les autres dates de concert de Nathalie Loriers rendez-vous sur son site, à la page CONCERTS