Nile On waX : le changement dans la continuité
David Christophe © France Paquay
Quelques jours après un concert mémorable donné à l’An Vert (reportage de JazzMania) et quelques jours avant une mise en suspens de l’activité culturelle dans le pays, nous avons rencontré le trio bruxellois pour une discussion à visières levées. Au juste… Pourquoi faire, une étiquette ?
Le groupe semble connaître deux vies : une première à la parution des deux premiers albums, puis une reprise d’activités sept ans plus tard sous le nom de Nile On waX. Que s’est-il passé ?
David Christophe (basse) : En vérité, on n’a jamais arrêté, même durant cette période-là. Mais on se voyait un peu moins régulièrement. On avait moins d’échéances à trois… Catherine (Graindorge) a entre-temps réalisé un album en solo, moi aussi. Ce que nous faisons actuellement est la suite logique de nos travaux entamés il y a sept ans. Il était nécessaire aussi de changer le patronyme du groupe, dont nous avons gardé la structure, N.O.X. Une manière encore d’insister sur le fait qu’il s’agit d’une continuité. Il y avait plusieurs « NOX » sur le marché. Il devenait difficile de nous trouver sur internet…
Catherine Graindorge © France Paquay
Elie Rabinovitch © France Paquay
Il n’a jamais été question de « perdre la foi » ?
Catherine Graindorge (violon) : Non, pas du tout. On avait toujours cette même envie. Cette parenthèse de sept ans nous a permis de travailler nos nouveaux morceaux un peu différemment…
D.C. : On n’a jamais ressenti l’obligation de sortir des disques ou de faire des albums régulièrement. Nous faisons de la musique quand nous en éprouvons le besoin ou l’envie… Et que nous sommes disponibles tous les trois en même temps… Nile On waX, c’est un véritable travail de trio. Jamais l’un de nous arrivera en répétition en disant au deux autres : « Hello, j’ai composé un morceau, on va le travailler ensemble… ».
«Nous nous vendons de façon calamiteuse… » Elie Rabinovitch
Quand un réalisateur comme Hal Hartley s’intéresse à vous (la musique de NOX figure sur la bande-son du film « My America »), est-ce que l’on rêve de passer un cap ? De connaître un succès international ?
Elie Rabinovitch (batterie) : On en rit toujours entre nous! Nous nous vendons de façon calamiteuse… Alors bien sûr, il y a eu des touches, de l’intérêt pour notre musique, mais nous n’étions pas très persuasifs… On a manqué de chance aussi : ceux qui ont voulu nous aider nous ont embarqués dans des aventures sans lendemains…
D.C. : Cette reconnaissance était flatteuse… Mais il ne faut pas oublier que Hal Hartley est lui-même quelqu’un qui se vend très mal… C’est pas Luc Besson non plus… (rires) La chance que l’on a, c’est que l’on se trouve toujours sur une phase ascendante. Atteindre un sommet, ce doit être angoissant ! La reconnaissance, c’est bien. Mais ce n’est pas une nécessité pour que notre musique existe.
C.G. : Il faut savoir aussi que chacun d’entre nous mène d’autres projets ou exerce un métier en dehors de Nile On waX. Si on ne devait compter que sur cette activité-là, les choses ne se passeraient sans doute pas de la même manière. Aujourd’hui, on éprouve l’envie de sortir un peu de ce contexte, de toucher plus de monde.
Catherine Graindorge © France Paquay
En ce qui te concerne, Catherine, tu as fait un album avec Hugo Race. Lui aussi un « inconnu célèbre »…
C.G. : Il aimerait pourtant bien rencontrer un succès plus large… Il sacrifie toute sa vie à cela, à sa musique…
«On associe notre musique au post rock, mais cela n’est franchement pas voulu. On évolue là où notre musique nous emmène…» David Christophe
Un petit mot à propos du « post rock ». Un terme généralement utilisé pour définir votre musique. Les étiquettes sont dérangeantes ?
D.C. : Les mouvements « post » naissent généralement en réaction au mouvements existants. On ne s’est jamais dit qu’on allait faire de la musique en réaction à quelque chose (le rock par exemple). On se nourrit de plein de choses différentes : le minimalisme, le jazz, le rock, … On n’a jamais été biberonnés au post rock. Certaines personnes associent notre musique au post rock, mais cela n’est franchement pas voulu. En fait, on évolue là où notre musique nous emmène… Nous ne sommes en rupture de rien.
E.R. : Honnêtement, quand nous avons démarré NOX, je ne connaissait même pas le terme… Nous rencontrions des gens qui nous parlaient de Godspeed You ! Black Emperor et de The Silver MT. Zion Memorial Orchestra… On les a découverts à ce moment-là. On a constaté qu’il existait une grande armée du post rock, que je ne trouvais pas toujours exemplaire… Mais je comprenais néanmoins pourquoi on nous y associait. Nous avons tellement de références en tête qu’il devient difficile de nous cataloguer. Les générations suivantes sont encore plus éclectiques au niveau des références… Je trouve que c’est particulièrement intéressant ! Les jeunes groupes digèrent le passé pour en faire quelque chose de neuf et d’hybride, c’est génial !
D.C. : Évidemment, une étiquette « post rock » nous permettra d’accéder à certaines salles, à certains festivals… Mais ça nous fermera aussi pas mal de portes ! Comme celles d’un club de jazz par exemple…
Nile On waX © France Paquay
Au juste, comment vous définissez-vous ?
Tous en même temps : Psyché post rock ? Musique à la croisées des chemins ?
D.C. : Qu’importe, on peut jouer pratiquement partout ! Notre meilleure carte de visite, c’est notre musique elle-même…
Sans que cela ne soit lié à votre retour, on dénombre actuellement et à Bruxelles pas mal de groupes qui font une musique qui croisent les genres, un peu comme la vôtre : Commander Spoon, Under the Reef Orchestra, Bààn, Piloot, … Y a-t-il une scène bruxelloise ?
E.R. : Tout à fait ! Et on apprécie beaucoup un groupe comme Bààn… Leur démarche est proche de la nôtre : il y a cette idée de trance, d’utilisation des espaces, de l’improvisation. Depuis quelques temps, en tous cas depuis la sortie de notre album « Bell Dogs », notre musique évolue vers cette direction-là.
D.C. : Le goût des publics se décloisonnent. Ce serait bien que les programmeurs s’en inspirent. Il n’y a plus de tribus comme avant : une tribu punk, une tribu new-wave, une tribu hard-rock… Ça se mélangeait peu…
«L’idée de se laisser emporter par la musique, de la laisser tracer la voie…» Catherine Graindorge
Il y a encore des festivals spécialisés : le Golden Rock (hard-rock à Liège), Geel (reggae), …
C.G. : Je trouve en effet qu’en Belgique, les cloisons sont plus marquées…
D.C. : Je crois que ça m’angoisserait de me rendre à un festival où il y aurait du reggae toute la journée (rires).
E.R. : Je me suis rendu au festival de post rock Dunk ! à Zottegem… J’ai eu l’impression d’entendre le même groupe, du début à la fin… Tout est monté sur mesure !
David Christophe © France Paquay
Catherine Graindorge © France Paquay
Lors de votre concert à l’An Vert, on a entendu de nouveaux morceaux, plus introspectifs… Vous pouvez me parler de cet album à venir ?
D.C. : Il est toujours en cours d’écriture. Certains morceaux ont été travaillés durant le confinement du printemps. Nous nous sommes en effet installés dans des climats plus introspectifs. Notre musique s’en ressent, c’est certain.
C.G. : Nous avions vu ce groupe en concert, The Necks. Leur musique est entièrement improvisée, libre. Nous souhaitions déjà emprunter cette voie-là, ça nous a confortés dans notre choix. L’idée de se laisser emporter par la musique, de la laisser guider la voie…
«La musique de Nile On waX ne gravite plus essentiellement autour de mon violon. C’est plus confortable pour moi.» Catherine Graindorge
Il faut une sacrée complicité pour en arriver là…
C.G. : Oui, et c’est ça qui est fabuleux avec ce groupe-là… Tu parlais tout à l’heure de Bààn. C’est aussi le même processus.
E.R. : Avec « Bell Dogs », on s’en approche déjà un peu… Mais on aimerait aller encore plus loin dans cette démarche. Un groupe comme The Necks nous y pousse un peu. L’envie existait, l’utilisation des espaces, les mouvements constants… On a opéré ce changement de façon naturelle, à trois.
D.C. : C’est vrai qu’à nos débuts, on était un peu trop « dans le contrôle »… Lors des dernières répétitions, et même si il y a beaucoup de choses qu’on ne garde pas, nous nous sommes mis « en condition » pour y arriver. Le processus d’enregistrement est un processus de sélection. Il faut accepter de vivre l’émotion du moment.
C.G. : Ce qui a changé aussi, et c’est beaucoup plus confortable pour moi, c’est que la musique de Nile On waX ne gravite plus essentiellement autour de mon violon, qui était l’instrument du soliste. A partir de « Bell Dogs », nous interchangeons les rôles. David et Elie passent au premier plan également, à tour de rôle.
D.C. : Chacun joue comme il le ressent, sans rôle pré-défini. L’intention existait déjà, nous sommes passés à l’action…
«C’est pas grave en somme que le CD disparaisse. Mais il faudra absolument se tourner vers des applications de téléchargements réellement rémunératrices pour les musiciens.» David Christophe
Catherine, nous en reparlerons sans doute plus en détail un autre jour : tu viens de terminer l’enregistrement d’un nouvel album en solo…
C.G. : Oui, il est prêt. Je l’ai enregistré avec John Parish (producteur historique de PJ. Harvey NDLR). Malheureusement, je n’ai pas encore trouvé le label qui le publiera…
E.R. : Je peux le dire, c’est un disque magnifique… Et je suis objectif ! (rires)
C.G. : C’est à nouveau le même problème : est-ce parce qu’on ne peut pas me cataloguer dans un style précis que je rencontre des difficultés pour trouver un label ? Néanmoins, ça reste essentiel à mes yeux de ne faire que ce que l’on ressent… C’est un privilège énorme !
D.C. : Je pense qu’il n’y a jamais eu autant de groupes et de musiques en vente qu’aujourd’hui… Le virus n’y est certainement pas étranger. Mais il faut absolument que le public sache que si les artistes ne sont pas correctement rémunérés, c’est un pan entier de la culture qui va s’écrouler… Beaucoup de musiciens sont inquiets pour leur avenir. Il faut leur garantir un taux de retour. Et toutes les plate-formes ne se valent pas à ce niveau-là. Il faut le savoir ! Donc, continuez à privilégier l’achat « physique », allez chez le disquaire, lisez les magazines, les chroniques…
C.G. : C’est lors des concerts que nous vendons le plus de disques, alors qu’ils sont tout doucement en train de disparaître.
D.C. : C’est pas grave en somme, que le CD disparaisse. Mais il faudra alors absolument se tourner vers des applications de téléchargements réellement rémunératrices pour les musiciens… On ne gagne rien avec des plate-formes comme iTunes ou Spotify, même si elles sont indispensables en terme de visibilité… Bandcamp est un peu plus rémunérateur… On est conscients que la musique se dématérialise, mais si les professionnels des plate-formes et les utilisateurs ne se responsabilisent pas, beaucoup de musiciens ne pourront tout simplement pas continuer…
Nile On waX © France Paquay
Nile On waX
Bell Dogs
Depot 214
Propos recueillis par Yves «JB» Tassin / Photos © France Paquay