Oan Kim : In the mood for jazz…
À quelques heures d’une prestation convaincante au Festival Uhoda Jazz à Liège, nous avons rencontré le multi-artiste / révélation Oan Kim. Il nous a parlé de son parcours, du concept « Dirty jazz » et d’un nouvel album paru il y a peu, « Rebirth of Innocence ».
Ce n’est pas facile de glaner des informations à votre sujet. On dirait que votre personnalité est entourée d’un halo de mystère… Est-ce voulu ?
Oan Kim : Pas du tout ! Ce n’est pas volontaire. C’est juste bordélique et un peu nonchalant au niveau de la communication. (il rit)
Présentez-vous alors !
O.K. : Par quoi commencer ? Je fais tellement de choses différentes… J’ai eu un parcours un peu sinueux.
Commençons par évoquer votre papa qui était aussi un artiste…
O.K. : Oui, mon père était un artiste-peintre sud-coréen qui vivait à Paris. Il a peint des gouttes d’eau une bonne partie de sa vie. (sourire) – (Kim Tschang-Yeul était en effet reconnu pour ses représentations de gouttes d’eau… NDLR)
«j’ai vu mon père faire exactement ce qu’il avait envie de faire toute sa vie. Quand on voit ça, on n’a pas spécialement envie de travailler dans un bureau pour gagner sa vie.»
Le fait qu’il soit un artiste vous a influencé dans vos choix de carrière ?
O.K. : Forcément… J’ai vu mon père faire exactement ce qu’il avait envie de faire toute sa vie. C’est inspirant. Quand on voit ça, on n’a pas spécialement envie d’aller travailler dans un bureau pour gagner sa vie.
Vous touchez à différentes formes d’art : la photographie, le film documentaire et la musique. Arrivez-vous à concilier le tout, ou bien préférez-vous aborder une discipline à la fois ?
O.K. : Après le lycée, je n’ai arrêté aucun choix. J’ai d’abord fait les Beaux-Arts, les arts plastiques, puis le Conservatoire où je faisais de la musique.
La musique classique ?
O.K. : Oui, je n’avais pas choisi la section jazz. Mes études comprenaient la composition classique. Je faisais du jazz ailleurs…
Vous n’étiez pas un artiste qui cherche « la bonne voie » ?
O.K. : Non, je ressentais le plaisir de faire des choses différentes. Bien souvent, ma musique intervenait sur une autre forme d’art : avec elle, je tournais des clips, j’écrivais la musique pour mes films documentaires… Je n’ai pas opté pour l’un ou pour l’autre. À certaines périodes, je mélange ces différentes formes d’art. À d’autres moments, je me focalise sur une seule d’entre elles.
Votre premier album en solo, paru il y a deux ans (Chronique JazzMania) , a été considéré par la presse comme étant une révélation, et ce malgré ce mystère qui vous entoure… Comment l’expliquez-vous ?
O.K. : En fait, je ne sais pas l’expliquer.
«Le succès de Dirty Jazz m’a surpris, comme vous, comme tout le monde… même si je croyais en ma musique bien sûr.»
Il n’y a pas eu un gros label pour vous soutenir, peu de promo, pas de publicité…
O.K. : Non. D’ailleurs, j’ai dû produire ce premier album moi-même. J’ai démarché auprès de différents labels, mais personne n’en a voulu… Cinq jours après sa sortie, j’ai été contacté par le producteur du nouvel album qui voulait bien travailler avec moi (Jean-Philippe Allard du label Artwork – NDLR). Ce succès m’a surpris, comme vous et comme tout le monde… même si je croyais en ma musique bien sûr. Ceci dit, je ne venais pas de nulle part non plus. Je faisais déjà de la musique avec le guitariste, Benoit Perraudeau, au sein d’un groupe d’electro-rock, Chinese Army. Nous avions un petit succès d’estime… Sans plus. Avec « Dirty Jazz », je sentais que je tenais quelque chose, un peu différent.
Comment est né le concept « Dirty Jazz » ? Il s’agissait bien d’un concept à la base, vous étiez seul…
O.K. : Tout a démarré lorsque j’ai reçu une invitation pour exposer à Dallas. Il s’agissait de photos de fanfares. Les organisateurs m’ont demandé si je ne pourrais pas faire un concert en rapport lors du vernissage. Il n’y avait pas suffisamment de moyens pour que je puisse venir avec des musiciens. Alors, j’ai eu l’idée de monter un film avec les chansons qui venaient se greffer dessus. j’ai enregistré des bandes qui contenaient les boucles de batterie et les cuivres. J’ai chanté et j’ai joué les claviers en direct. C’est ainsi qu’est né le concept « Dirty Jazz ».
Il s’agissait déjà des chansons qui figurent sur vos deux albums ?
O.K. : Non, à l’exception d’une seule : « Agony ». Ce projet m’a plu, j’ai souhaité le développer. Ce que j’ai fait durant la période de confinement.
En quoi ce jazz est-il « sale » ? Et d’abord, est-ce du jazz ?
O.K. : Je ne voulais pas qu’il s’agisse d’un projet qui propose des chansons avec une touche de jazz. Ce genre de musique a déjà été proposé à maintes reprises. Je souhaitais aussi obtenir une forme de légitimité musicale. Dans le « Dirty Jazz », il y a en quelque sorte un pied dans la musique indé et un pied dans le jazz. C’était ça l’idée… Je suis resté très branché sur le « jazz à papa ». Je trouve qu’il y a beaucoup de libertés et même de complexité dans le jazz actuel…
Et vous souhaitiez ajouter une touche de pop/rock ?
O.K. : Pas spécialement. Ce qui m’intéresse, c’est cette intersection entre ce qui semble évident, d’un point de vue émotionnel, et même charnel, et la sophistication du jazz. Je trouve que le jazz contemporain a perdu une partie de son ancrage corporel.
Et pourquoi « Dirty » ?
O.K. : « Dirty », ça vient du rock.
«Dirty, c’est une façon de préciser que nous ne faisons pas du jazz à la manière de Wynton Marsalis…»
Une allusion à Sonic Youth ?
O.K. : En effet, il y a « Dirty Boots » (un album de Sonic Youth paru en 1991 – NDLR). C’est une façon de préciser que nous ne faisons pas un jazz à la manière de Wynton Marsalis… « Dirty » est un mot que l’on retrouve dans une certaine forme de rock qui fait partie de notre ADN…
Et vous voilà à présent invité dans un festival de jazz international… Quels sont vos sentiments à ce sujet ?
O.K. : Je ne pense pas spécialement dans ces termes-là. Légitime ou pas ? Par contre, je suis très heureux d’avoir été accepté dans ce milieu-là…
On peut affirmer que ce nouvel album est une suite logique au premier. Qu’est-ce qui a changé ?
O.K. : En effet, certaines chansons existaient déjà lorsque le premier album est sorti. Elles n’avaient pas été retenues et elles sont récupérées ici. La différence principale réside dans le fait que cette fois-ci, nous avons enregistré l’album en groupe et non seul, comme ça avait été le cas en grande partie lors du premier.
« Dirty Jazz » n’est donc plus un concept mais bien un groupe…
O.K. : Parfaitement ! Et dès lors, c’est plus joué, moins aérien peut-être. Par exemple, lors du premier album, les parties de batterie étaient composées de boucles. Avec un batteur, il y a plus de montées d’énergie…
Vous êtes donc arrivé à déléguer ?
O.K. : Forcément… Chaque musicien apporte sa propre personnalité. C’est l’intérêt de travailler avec un véritable groupe. Même s’il a fallu concilier les agendas et donc travailler sur base de maquettes.
Au juste « Rebirth of Innocence » : pourquoi ce titre ?
O.K. : Avec l’âge, on perd son innocence. Il y a un moment où ça devient même douloureux par rapport à ce que l’on projetait de faire dans la vie, par rapport aux gens que l’on a croisés… Mais lorsque l’on est arrivé au bout de ce processus-là, on revient à une forme de réalité vierge de tout phantasme. Comme une légèreté, une innocence… C’est le stade auquel je me trouve en ce moment…
Oan Kim & the Dirty Jazz
Rebirth of Innocence
Artwork / PIAS