Profondo Scorpio : Du jazz sur les terres du cinéma italien

Profondo Scorpio : Du jazz sur les terres du cinéma italien

C’est sous la forme d’un beau vinyle que nous avons découvert Profondo Scorpio, un quartet de jazz français basé à Caen. Un album dont la musique est inspirée par celles qui accompagnent le cinéma de genre italien nommé « Giallo ». Un jazz sexy, ténébreux, intrigant, qui installe des tensions, du suspense, et sur lequel deux cuivres occupent souvent l’avant-scène de façon tantôt percutante, tantôt assagie. C’est avec le leader, compositeur et saxophoniste du groupe, Samuel Frin, que j’ai « disséqué » la chose !

Profondo Scorpio © D.R.

«J’apprécie les arrangements légers.»

Le groupe a-t-il été spécialement formé pour ce disque ?
Samuel Frin : Non, le groupe existe déjà depuis quelques années. Et les confinements ont véhiculé l’idée de faire un enregistrement. Ceci est notre première réalisation.

Quand l’idée de faire une musique inspirée de l’univers Giallo, typique du cinéma italien, vous est-elle venue ?
S.F. : L’inspiration n’est pas venue avant de faire le groupe. J’ai d’abord pensé à réunir ces musiciens spécifiques parce que j’aime bien l’idée d’avoir une « formation légère ». J’apprécie les arrangements légers. Aux premières répétitions j’ai amené des choses mais il n’était pas prévu que je compose seul. Pourtant, c’est ce q ui s’est passé. J’ai aussi été conscient que j’écrivais beaucoup autour des mêmes ambiances et que cela ressemblait de plus en plus à des ambiances cinématographiques. J’ai réalisé que cela s’orientait vers des musiques de films italiens et je me suis pris au jeu. Je me suis documenté sur ce style particulier et ensuite mon inspiration s’est nourrie d’elle-même de ces choses-là. Finalement j’aime dire que ce sont des variations libres autour d’atmosphères héritées de ces époques-là.

Sur la pochette de l’album figurent les noms de Pierre Lebouteiller et Luc Muteau comme étant vos initiateurs à ce genre cinématographique. Qui sont-ils ?
S.F. : Pierre et Luc sont avant tout des copains avec qui je faisais de la musique au sein d’un groupe nommé Mosca Violenta. Et avant on s’appelait Les Yeux De La Tête ! (rires). Vers 2018 nous avons arrêté de jouer ensemble, mais nous avions déjà défriché le sujet du Giallo. Je connaissais un peu le sujet, j’avais vu des films de Dario Argento, mais sans plus. Ce sont eux qui m’ont vraiment amené là-dedans et je tenais à le faire savoir via cette note sur l’album. Ensuite le sujet a pris de plus en plus d’intérêt dans ma projection musicale, j’ai aussi découvert des réalisateurs moins connus.

Profondo Scorpio © Gerard Boisnel

Le texte écrit au verso est-il conçu pour être lu en même temps que l’on écoute la musique, comme si elle en était le support original ?
S.F. : On peut. C’est aussi un copain féru de ce genre de cinéma qui l’a écrit. Il a divagué librement dans son écriture, un peu comme nous le faisions musicalement.

Tous les titres sont écrits en italien…
S.F. : C’est pour rester dans l’atmosphère. Parfois c’est de l’italien « de cuisine » mais c’est complètement assumé ! Parfois c’est assez gag, pas certain qu’un italien écrive comme cela (rires) ! Je me moque un peu de moi ! Mais je peux, j’ai de la famille italienne !

Tu as tout composé, tu joues du sax mais aussi des « radios et objets ». En quoi cela consiste-t-il ?
S.F. : Il y a beaucoup d’intermezzos plus retenus sur l’album et là je manipule quelques objets du quotidien. Et un peu de prises sonores faites à la radio aussi. Mais nous jouons tous les quatre sur ces passages. C’est très improvisé et moi je dirige juste les personnes qui vont intervenir et les ingrédients qu’on va utiliser. Ainsi que le temps qui leur est imparti. Un travail un peu « à la John Cage ».

«J’aime bien l’idée de ces plages sur lesquelles on laisse simplement agir le hasard.»

Pourquoi cette alternance régulière entre compositions et intermezzos ?
S.F. : Il n’y avait pas d’idées préconçues mais j’aime bien l’idée de ces plages sur lesquelles on laisse simplement agir le hasard.

Il y a aussi de l’improvisation…
S.F. : Oui essentiellement au niveau du trompettiste. Moi je me suis mis un peu en retrait à ce niveau-là. Nous avons enregistré une improvisation d’une trentaine de minutes, et c’est là que nous sommes allés chercher les intermezzos que nous avons placés dans les espaces libres qui subsistaient lors du mastering.

Alors que tu joues de plusieurs instruments, ici tu n’as utilisé que le sax baryton…
S.F. : J’ai aussi joué de la flute et de la clarinette alto dans les intermèdes, mais j’ai dû les mettre dans les « objets » (rires). En fait, c’était juste les timbres qui m’intéressaient ! C’est vrai que j’aurais pu jouer d’autres instruments mais j’aimais bien les choses très simples dans l’approche de départ.

Profondo Scorpio © D.R.

J’ai ressenti la réunion de deux couples dans le groupe : la section rythmique et celle des cuivres…
S.F. : Oui, disons qu’il y a le côté un peu jazz des cuivres et le côté rock des musiciens de la section rythmique. C’est leur première expérience en jazz. A la base nous sommes tous des musiciens impliqués dans divers projets, mais c’est notre premier groupe ensemble.

On ressent beaucoup d’énergie, de pulsations dans votre musique, l’influence du milieu rock ?
S.F. : C’est tout à fait revendiqué, les germes viennent du passé. L’influence de Mosca Violenta se fait ressentir, même si nous nous sommes bien assagis dans Profondo Scorpio.

L’album se termine comme la fin d’un film, sous forme d’apaisement…
S.F. : C’est aussi voulu. Une façon de laisser libre cours à l’imagination de l’auditeur, de le laisser véhiculer. Je ne voulais pas trop développer ce dernier morceau, je voulais quelque chose de calme et court. Et pour l’anecdote, le personnage de cette composition (« La brutta storia di Barbara Romero »), je l’ai en face de moi ! C’est une dame qui rachète de l’or dans le magasin en bas de chez moi et elle porte ce nom ! C’est un magasin où on revend des bijoux et des monnaies rares ! Elle ne sort jamais de sa boutique et je trouve qu’elle a un nom génial. Elle ne sait pas qu’elle figure sur le disque, je le lui dirai peut-être un jour ! (rires)

Profondo Scorpio © Gerard Boisnel

«On s’est donné beaucoup de peine pour ce projet et on veut vraiment le faire connaître en live.»

Des projets de concerts pour promouvoir cet album ?
S.F. : Oh oui, j’ai vraiment envie de le jouer, mais ce n’est pas évident de trouver des dates à ce stade. Bon, nous ne sommes pas dans la misère, nous avons d’autres activités parallèles. Nous faisons notre métier de musicien mais on s’est donné beaucoup de peine sur ce projet et on veut vraiment le faire connaître en live.

Ce genre d’album avec son contexte particulier pourrait être accompagné d’un visuel en live ?
S.F. : Non, je ne souhaite pas mettre de vidéo en concert… Je préfère que l’imagination des gens fasse son travail. Par contre, pour les deux concerts célébrant la sortie du vinyle, nous avons accordé beaucoup d’importance aux jeux de lumières. Et avant le concert, une troupe de comédiens à performé un peu dans le style du « Giallo ». Nous arriverons peut-être un jour à proposer un « spectacle total » ! Et venir le jouer en Belgique ! (rires)

Un petit mot encore sur ton autre groupe, Dustman Dilemma (dont le troisième album fut mon album de 2021).
S.F. : Nous réfléchissons au suivant, à nos heures perdues. Nous sommes tous les trois bien occupés. Musique et théâtre. Nicolas Tritschler, notre chanteur / parolier, bosse énormément pour le théâtre et il a aussi publié un album en solo.

Profondo Scorpio
Profondo Scorpio

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Dustman Dilemma
Third Sigh

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Nicolas Tritschler
Willows

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Tous ces disques sont publiés par le label L’étourneur, dont le boss, Thomas Lefèvre, nous avait accordé une interview.

Claudy Jalet