Robert Wyatt ‐ l’interview inédite
C’est à l’occasion de la remise du titre de docteur honoris causa décerné en 2009 par l’Université de Liège que Jean-Pierre Goffin a rencontré Robert Wyatt.
Cette interview n’avait encore jamais été publiée !
Quel a été votre premier émoi musical ?
Robert Wyatt : Honnêtement, c’est difficile à dire… Mais je me souviens bien appeler ma mère alors qu’elle était à l’étage. J’étais dans un petit lit et elle chantait (il chante) « Mummy, Mummy, Mummy, Mummy » et cet intervalle m’est resté dans la tête. Je pense l’avoir utilisé dans des compositions et plus particulièrement quand j’ai écouté Miles Davis plus tard… Les notes qu’il choisissait m’ont rappelé les appels de ma mère… Je pense que les premières chansons qui m’aient attirées sont les chants de Noël que je chantais avec mon père (il chante…). Mais je ne sais plus les chanter aujourd’hui ! Il y avait « Christmas Carol », si je me souviens bien.
Entre la musique de Soft Machine et vos œuvres récentes, qu’est ce qui a changé dans votre façon d’appréhender la musique ?
R.W. : Je pense que les sons que j’ai dans ma tête n’ont pas beaucoup changé depuis cette époque, les harmonies non plus. J’ai toujours essayé de trouver de la fraîcheur dans mes harmonies, des choses simples comme dans la folk music. Mais en y réfléchissant bien, je pense que la grande différence réside dans le fait que quand j’ai débuté, j’ai essayé d’être aussi intéressant que possible. Alors que maintenant, j’essaie simplement de chercher de belles notes… C’est cela oui, dans un sens la musique que je joue maintenant est plus primitive que celle que je jouais il y a trente ans… Quand on est jeune, on veut démontrer quelque chose, même si il n’était pas question de sentiments, d’idées élevées, je n’étais pas comme ça. Je n’ai pas eu une formation scolaire, ni de qualification. J’étais fait pour un métier manuel et quand j’ai eu la chance de jouer comme batteur, j’ai effectué un job pour lequel j’étais payé, et beaucoup mieux que tous ceux que j’avais exercés auparavant ! Jouer pour des gens qui dansent est excitant et vous donne un grand sens de la communication. Ça reste un job pour moi car je joue, et si ce n’était plus un métier sans doute que je resterais au stade d’imaginer simplement de la musique. J’ai besoin de la pression pour imaginer des choses.
Beaucoup de gens ont dit que Soft Machine était la réponse européenne au groupe de Miles Davis. Êtes-vous d’accord avec cela ?
R.W. : J’y ajouterais l’influence de John Coltrane, l’utilisation des modes et des gammes, mais dans un sens je voudrais dire que quand John Coltrane est décédé, dans mon esprit, c’était comme un arbre géant dans la forêt qui tombait, qui laissait de l’espace à d’autres pour leur donner une chance de grandir et de recevoir directement la lumière du soleil. La plupart d’entre nous ont grandi dans les espaces laissés par des géants qui tombaient et qui laissaient de l’espace et des possibilités. Dans mon cas, l’écho d’Elvin Jones a été très important, il n’y avait aucune raison d’être gêné d’utiliser cet espace parce que c’était ce que nous écoutions et ce que nous aimions. Ces géants m’ont donné une idée vers où aller avec la musique et que faire avec. Dans la musique de Coltrane, il y avait des éléments de transe qui m’ont inspiré… En fin de compte je ne peux pas dire que je suis européen dans ma musique car le jazz existe grâce aux noirs américains et nous leur sommes reconnaissants. Je suis heureux d’être entouré d’Archie Shepp et d’Anthony Braxton aujourd’hui (ils recevaient le même titre que Wyatt le même jour – NDLR). Braxton est un mélange de toutes sortes d’influences et je dois beaucoup à cette musique qui représente une sorte d’élastique intellectuel qui tend vers le rock et le rhythm and blues. Et ce qui est grand, c’est que cette musique est toujours vivante quand on la joue aujourd’hui. Je ne vis pas dans une communauté géographique, j’en ai une mais elle n’est pas géographique.
J’apprécie que l’Université de Liège prenne des risques en nous honorant, c’est inhabituel et je pense qu’ils sont courageux de faire ceci.
Merci à Luc Pilmeyer pour les photos.