Robin Verheyen : Blues Reds (and other songs) for Madonna

Robin Verheyen : Blues Reds (and other songs) for Madonna

Challenge Records / New Arts International

Le saxophoniste Robin Verheyen n’est pas le premier jazzman à s’éloigner du jazz. Certains l’ont expérimenté avant lui (Jarrett, Mehldau, Garbarek ou même, déjà, Mary Lou Williams, pour n’en citer qu’une poignée). Verheyen est, lui-même, un « habitué » de la chose puisqu’il avait déjà enregistré des « variations » sur « The Bach Riddles » et flirte depuis longtemps et régulièrement avec la musique contemporaine. Cette fois-ci, en compagnie du pianiste Marc Copland, avec qui il a déjà beaucoup collaboré, et le trio à cordes Goeyvaerts, il répond à l’invitation du Musée des Beaux-Arts d’Anvers (KMSKA) pour raconter sa vision du célèbre tableau – resté longtemps dans l’ombre pour cause de travaux du Musée – de Jean Fouquet : « Madone entourée de séraphins et de chérubins » (1452–1458). Pour cela, le saxophoniste a composé une œuvre qui navigue entre musique sacrée, renaissance et contemporaine, avec quelques touches de baroque. Très sensible aux couleurs qui lui évoquent notes et mélodies, ou inversement (rappelez-vous l’un de ses premiers albums : « Painting Space »), il a intitulé celui-ci « Blues Reds (& other Songs) ». Si l’on voulait, peut-être, y déceler un clin d’œil « jazz » (Blues comme blues et Reds/Reeds comme anche ?), il s’agit surtout ici de références directes au tableau dans lequel, sur la blanche peau de la Madone, domine le bleu outremer de la robe dépoitraillée et le vermillon profond des anges qui l’entourent. Verheyen rend très bien ce contraste entre froideur, distance et dévotion, d’une part, et incandescence, fougue et passion, de l’autre. La douceur et l’introspection dominent les premiers titres, tels ces magnifiques moments suspendus de « Seraphim et Cherubim » ou encore le sublissime « Angelus »).

Si elle est très écrite, la musique se laisse aller parfois à l’improvisation maîtrisée. Ainsi, les envolées fébriles du soprano semblent vouloir parfois échapper aux accords pugnaces du piano (sur « Portrait en bleu et rouge », ou certains passages de « Maîtresse », par exemples). Les violons et le violoncelle, qui attisent également l’action, ramènent finalement tout le monde à plus de sérénité ou de recueillement. Le compositeur laisse d’ailleurs à ceux-ci pas mal d’espace pour résonner de façon céleste. Le « quintuor » passe en revue les moindres détails de la peinture de Fouquet, relevant ici le reflet dans un œil, là le drapé anguleux de l’étoffe ou ailleurs encore le vide inquiet d’un regard. Ce projet hors du temps – et quasi hors du jazz – est à considérer avec un recul nécessaire. Cette musique très élaborée est réfléchie et exigeante, mais terriblement passionnante.

Jacques Prouvost