Sebastian Rochford : la musique comme un remède
Sebastian Rochford sort sur ECM « A Short Diary » en duo avec Kit Downes. Entretien avec un batteur polymorphe.
On vous connait en tant que batteur dans des groupes comme « Polar Bear » ou « Acoustic Ladyland », vous êtes aussi un des fondateurs de « Sons of Kemet ». Cet album chez ECM est complètement différent.
Sebastian Rochford : C’est le premier album que je fais avec un piano, un instrument qui a toujours eu une grande importance dans ma vie. J’ai joué du piano bien avant de jouer de la batterie, parce que mes parents voulaient que je débute par cet instrument, pour que je possède le sens de l’harmonie. Ils m’ont dit que si je voulais faire de la batterie, il fallait passer par le piano, j’étais en fait entouré de passionnés de piano… Mon père aimait beaucoup Glenn Gould, ma mère écoutait Bill Evans, Keith Jarrett et Nina Simone. Aujourd’hui, quand je compose, c’est d’abord dans ma tête que ça se passe et puis je le joue au piano.
«Quand mon père est décédé, je me suis assis au piano et j’ai reproduit ce que j’avais en tête. Cette musique était comme un remède pour moi.»
La musique plus méditative de cet album est nouvelle pour vous.
S.R. : Non pas vraiment, déjà avant la mort de mon père, ma musique était en train de prendre une autre forme, quelque chose de plus personnel. Quand mon père est décédé, je me suis assis au piano et j’ai reproduit ce que j’avais en tête. C’est à ce moment que j’ai pensé à en faire un album et que je me suis vraiment senti mieux. Cette musique était comme un remède pour moi.
Vous avez tout de suite pensé que Kit Downes était le pianiste qui convenait à cette musique ?
S.R. : Oui, nous avions déjà formé un duo il y a quelques années, mais nous n’avons fait aucun album à cette époque. J’ai toujours aimé sa façon de jouer, pleine d’émotion. Je le connais aussi personnellement, c’est un ami, et dans cette situation très personnelle du décès de mon père, je n’ai pensé à personne d’autre que lui.
Y a-t-il une influence écossaise dans votre musique ?
S.R. : C’est intéressant parce que pendant la pandémie, j’ai passé beaucoup de temps en Ecosse, et après avoir écrit les morceaux pour mon père, j’ai écrit une pièce qui sonne très écossaise pour moi. C’est un peu « my love song », elle s’intitule « To the Country I Was Born » et tout le monde dans ma famille sentait que c’était influencé par l’Ecosse, c’était dans l’air et dans l’énergie. Mais je ne pense pas qu’il y ait ce feeling sur l’album.
Quand vous composiez pour l’album, pensiez-vous à certains poèmes de votre père ? Vous ont-ils influencé dans votre écriture ?
S.R. : Non, c’est plutôt lui en tant que personne qui m’a inspiré.
Vous avez choisi un de ses poèmes pour le livret du disque.
S.R. : Mon père a toujours été très mystique, passionné de mots et de musique. La dernière chanson de l’album, qui est sa chanson, il me l’a envoyée par téléphone et le titre de la chanson est un vers du poème qu’il a écrit sur la musique.
Avez-vous déjà joué la musique du disque en live ?
S.R. : Nous avons donné deux concerts déjà, et nous avons plusieurs gigs prochainement.
«Sur scène, j’aime qu’on prenne un peu de liberté par rapport à la musique, mais il faut que l’intention soit toujours là.»
Est-ce que le « mood » de la musique est différent sur scène ?
S.R. : C’est important de garder la même intention et le même feeling sur scène, mais ça part parfois dans différentes directions. J’aime qu’on prenne un peu de liberté par rapport à la musique, mais il faut que l’intention soit toujours là. C’est quelque chose de très important pour moi, que les gens ressentent exactement ce qu’on a voulu exprimer. Mais ça peut être différent de l’album : il y a un morceau en piano solo sur le disque, mais sur scène je joue dessus.
Cette musique est tout de même déconcertante pour ceux qui écoutaient « Sons of Kemet », « Polar Bear » ou Acoustic Ladyland ».
S.R. : Ce n’est pas nécessairement un grand changement, ce sont des sentiments humains de toute façon. Au départ, mes disques préférés ont toujours été ceux de pianistes : Bill Evans, un de mes préférés de toujours est l’album de Monk « Alone in San Francisco », j’adore Cecil Taylor, Andrew Hill, Jason Moran.
Et les batteurs ?
S.R. : John Bonham, Elvin Jones, Stevie wonder (j’adore son drumming), Paul Motian, Jack DeJohnette… Il y en a tellement que j’apprécie.
Jouez-vous dans d’autres formations pour l’instant ?
S.R. : Je joue avec le contrebassiste français Théo Girard, nous avons fait un disque récemment. Je joue aussi avec Patti Smith avec qui je reviens en Belgique cette année, en automne je crois.
«C’est seulement quand ma mère est décédée que j’ai commencé à écouter du jazz, la musique qu’elle aimait.»
Jouer avec Patti Smith doit être une fameuse expérience.
S.R. : Oui à coup sûr. J’ai débuté par le rock, le hardcore. C’est seulement lorsque ma mère est décédée, quand j’avais dix-huit ans, que j’ai commencé à écouter du jazz, la musique qu’elle aimait. Mais dans ce que je fais, c’est plus le concept qui est important. Quand je joue avec Patti Smith qui est plutôt classée rock, punk-rock, la façon dont elle conçoit la musique est dans un sens comme du jazz. Il faut être très présent dans sa musique car elle peut changer les accords en concert, et elle adore le jazz aussi. C’est une belle expérience de jouer avec elle.
Sebastian Rochford & Kim Downes
A Short Diary
ECM / Outhere