Sébastien Paindestre Trio, Paris

Sébastien Paindestre Trio, Paris

Sébastien Paindestre Trio, Paris

LA FABRICA’ SON

Natif de Paris, le pianiste et joueur de Fender Rhodes Sébastien Paindestre lui dédie cet album en trio et, comme il le dit, «l’album devait s’appeler Paris bien avant les tragédies du 13 novembre 2015, mais il est dédié à toutes les victimes de guerre et de terrorisme dans le monde – Peace.» 8 morceaux d’une quarantaine de minutes constituent le programme du claviériste, accompagné par Jean-Claude Oleksiak à la contrebasse et Antoine Paganotti à la batterie, et un morceau avec une guest appearance du saxophoniste Nicolas Prost.

Un bon album, bien pensé, et ce qui frappe l’auditeur dès l’écoute du premier morceau, Scottish Folk Song (composition de Walt Weiskopf), ce sont de prime abord l’élégance du toucher du pianiste, la clarté d’élocution et la belle qualité du matériau sonore qu’il nous fait entendre. Comme par exemple ce thème joué à deux mains (00:56) qui n’est pas sans rappeler les improvisations de ce genre par Jarrett. Et, quand plus tard il passe au Rhodes (> 01:27), il le fait avec une belle énergie et d’une manière rythmée fort agréable d’écoute. Jazz’titudes démarre sur une pédale à deux accords avec l’archet de contrebasse en accompagnement et ici, j’ai pensé d’emblée aux meilleurs moments de certains morceaux de Piazzolla avec cette indicible mélancolie et lyrisme dont il était capable. Admirons la beauté de ces single notes (01:58/02:02) que le pianiste égrène, les sept dernières étant d’une précision quasi chirurgicale, ou l’emploi des pédales, dont celle de résonance (ex. 02:27), ces changements de tempo interne ou cette élégante alternance entre block chords et single notes. Je regrette ici le solo de contrebasse, banal, alors que l’accompagnement et la sonorité de la contrebasse, sont étonnamment riches.

Gaza-Paris-Jerusalem (For Peace) commence par une excellente mélancolie pianistique du meilleur aloi avec un accompagnement parfait des contrebassiste et drummer. Après un intermède de gamme ascendante par groupes 3 notes (la première de chaque groupe suivant débutant chaque fois au degré inférieur de l’échelle des sons), on entend le Rhodes dont la sonorité se rapproche ici de celle de la guitare. Le thème décliné est – je l’espère -, volontairement laid. 02:04, le piano joué rubato marque un contraste musical (et sans doute politique) à l’âpreté du Rhodes. Après le même intermède ascendant par groupes de 3 notes (> 03:32), le Rhodes revient à l’avant-plan ici dans une mouture de rock progressif avec un nombre incalculable de notes jouées et des effets de saturation. 05:20, le piano à nouveau d’une teneur apaisée avec effets de pédale de résonance dans un climat lyrique. Un morceau ambitieux à vocation politique, dont j’aime assez les différentes atmosphères musicales. Même si, philosophiquement, j’estime que les artistes ou personnes qui prônent la Paix (avec majuscule) sont des idéalistes qui n’ont peut-être pas suffisamment compris la leçon principale de l’histoire de la genèse humaine : à savoir que la violence fait partie de l’ADN de l’être humain et que cela remonte au Neandertal et à l’Homo Sapiens.

Mother nature’son est une composition de Lennon/McCartney jouée gentiment avant un solo au Rhodes (01:32/02:51). Mais, j’ai le feeling que le claviériste avait dans cette partie du moins le nez un peu trop vrillé sur la grille harmonique au détriment de la spontanéité qui fait le charme et le fondement du jazz, ce que j’appelle un style coincé; heureusement, il se reprend dans la dernière intervention sur le même instrument (> 03:46), mais je ne retrouve pas ici sur l’utilisation qu’il en fait l’élégance de ce qu’il joue au piano et qui, à mon sens, le distingue et fait en sorte qu’il vaut l’écoute.  J’ai ressenti les mêmes regrets à l’écoute de Blues for Violaine, également joué au Rhodes. Il swingue certes, mais cela sonne d’une manière un peu trop conventionnelle. Louise-Anne est joué au piano et c’est tant mieux car on y retrouve sur un tempo moyen (120/140) de bons développements en cadences itératives et modulées, telles qu’on les aime et retrouve chez Bach et Jarrett, même si j’entends chez le pianiste une admiration pour l’élégance de phrasé de Petrucciani. Mais, il n’est pas un copieur, simplement quelqu’un qui a les moyens et l’imaginaire personnels et qui nous laisse entendre de temps à autre des fragments d’inspirateurs. J’ai aimé ici les block chords, les belles notes perlées de son solo (ex. > 01:59) sur excellent contrechant d’accompagnement, avec, un peu pareils à des points de repère, des notes fortement marquées de temps à autre. Le solo de contrebasse, avec marmonnements, est, lui, décevant, comparé à la formidable énergie et qualité sonore des accompagnements d’Oleksiak.  La Paindestrerie est un morceau sur tempo vif, et, si les licks et fragments de solo qu’aligne le pianiste sonnent bien, j’ai le sentiment que je  préfère – et de loin – le pianiste dans ses développements sur tempos lents où, là, peut éclore et laisser libre cours à sa propension naturelle au lyrisme et à une certaine forme de mélancolie positive, plutôt que dans ces alignements de fragments courts de solo jazzy sans grande ligne conductrice ou maîtrise conceptuelle.

Round’ Radiohead est, avec son début en block chords, presque identique à Louise-Anne. Ensuite on entend le saxophone soprano de Prost d’une sonorité classique, épurée et presque sans vibrato. Le climat rappelle les moments lyriques tels qu’on les aime chez Petrucciani avec une belle ligne mélodique lyrique. Après un intermède en block chords (> 01:18), on écoute ensuite des virevoltes de soprano déjà plus jazzy sur accords fortement marqués au piano, créant ainsi une atmosphère à la fois détachée et dramatique. Prost rejoue le fort beau thème à la fin après un intermède aux block chords.

Dans l’ensemble un album réussi même si, personnellement, j’ai bien plus apprécié la finesse de toucher, l’élégance de phrasé et l’imaginaire du pianiste que ceux du claviériste au Rhodes, où je n’ai rien entendu qui m’ait particulièrement titillé les oreilles hormis dans Gaza-Paris-Jerusalem où, dans la partie médiane, j’ai entendu un déferlement de notes et d’effets acoustiques au synthé que je trouvais très bons.  Soulignons les excellents accompagnateurs même si je n’ai pas apprécié les interventions en solo du contrebassiste, aux teneur et sonorité banales, contrairement à la beauté de ses accompagnements.

Roland Binet