Seppe Gebruers : Playing With Standards
Mieux que quiconque, les véritables audiophiles (ceux qui aiment le son et non son artefact qu’incarne le mythe ressassé de la haute-fidélité) savent que l’écoute est un processus de longue haleine qui requiert attention, patience, mais aussi parfois un sens de la remise en question. En réalisant cet opus ambitieux – décliné en trois cd – le pianiste belge Seppe Gebruers, s’interroge et nous interroge sur le son, mais davantage encore sur le processus d’interprétation dont le son est partie intégrante. L’objectif est ambitieux. La lecture de la notice qui accompagne l’album nous renseigne sur une démarche profondément personnelle et singulière. Seppe utilise deux pianos inégalement accordés d’un quart de ton de différence, de manière telle que les pianos jouent autant avec lui qu’il ne joue avec eux, ouvrant un vaste champ d’harmoniques insoupçonnés. Il ne produit pas uniquement les sons, mais il est également guidé par la résonance des cordes.
« Playing With Standards » visite, revisite, déconstruit, reconstruit des standards du jazz tels « Donna Lee » de Charlie Parker, « It Never Entered My Mind » de Miles Davis, « Never Let Me Go » de Cole/Evans mais aussi quelques-uns emblématiques de la variété historique tels « The Days of Wine and Roses » de Sinatra ou « La vie en rose » de Piaf. Certains de ces standards sont rejoués plusieurs fois et chaque version diffère des autres ; d’autres sont juxtaposés entre eux. Éludant volontairement les mentions des auteurs orignaux, et dès lors que les morceaux sont « tombés » dans le domaine public, Seppe Gebruers se les approprie pour en céder en quelque sorte l’usage détourné au profit de son public. On n’aborde pas ce disque de manière distraite tant il est impossible de rester indifférent aux changements de tons inhabituels qu’il dégage, à cette impression de disharmonie ou de dissonance que ressentent nos oreilles peu habituées aux octaves fractionnées. Ce que Seppe Gebruers attend de l’auditeur tient, somme toute, peut-être dans cette maxime ramassée : qu’il soit acteur de son écoute ! En cela, il s’inscrit dans une démarche qui nous rappelle celle de Cage.