Sohnarr / Patricia Vanneste – Mise en ombre

Sohnarr / Patricia Vanneste – Mise en ombre

Patricia Vanneste © Jan Opdekamp

Après avoir connu une certaine mise en lumière au sein du groupe pop flamand à succès Balthazar, la violoniste Patricia Vanneste prend du recul et s’expose à la pénombre « Sohnarr ».

La décision de quitter Balthazar n’a pas dû être facile à prendre ?
Patricia Vanneste : Ça a pris quelques années… Nous en avions discuté ensemble il y a trois ans, lors de la sortie de « Thin Walls ». Une tournée devait suivre, c’était pas le bon moment. J’ai accepté de faire cette dernière tournée sous certaines conditions… Qu’une amie puisse me rejoindre de temps à autre… J’en avais un peu marre d’être entourée que d’hommes (sourire). Finalement, cette tournée s’est très bien passée.

«Dois-je occuper une position centrale sur la scène ? Il y a une vraie crainte que je dois surmonter»

Quelques regrets ?
P.V. : Non, aucun. C’était clair pour moi que ça n’avait plus de sens que je continue avec Balthazar après cette tournée.

Patricia Vanneste © Jan Opdekamp

Il y a une belle contradiction à relever… Avec Balthazar, tu as connu une mise en lumière (festivals, grandes salles, …), mais ton rôle se situait un peu dans l’ombre. Avec Sohnarr, te voici à présent face à un public sans doute plus restreint, mais par contre, tu occupes le rôle principal…
P.V. : Les concerts n’ont pas encore eu lieu… Je ne ressens pas encore très fort les effets de cette mise en avant… Même si il y a la promo, tout ce qui l’entoure. Par contre, je suis heureuse de pouvoir raconter ma propre histoire et non celle d’une entité. Pour être honnête, je ne suis pas sûre que ce soit la place que j’aimerai occuper… Si je pouvais me trouver dans l’ombre durant les concerts, ça m’arrangerait… On en a d’ailleurs discuté avec le responsable du light-show. On a analysé les choses aussi sur ce plan là. Dois-je occuper une position centrale sur la scène ? Il y a une vraie crainte que je dois surmonter.

Est-ce pour cela que tu as attendu tout ce temps avant de te lancer dans l’aventure Sohnarr ?
P.V. : Ce dont je suis certaine, c’est que j’avais besoin de solitude et d’espace pour écrire cette musique-là. C’était impossible de l’envisager en même temps que ma carrière dans Balthazar, avec les tournées, la promo, les séances en studio… Or, depuis quelques années, je ressentais le besoin d’écrire. J’ai longtemps hésité : peut-être n’est-ce pas fait pour moi ? Je suis avant tout une musicienne, je peux aussi arranger des morceaux. Mais ici, c’est de la composition, de l’écriture.

Explique-nous ce processus d’écriture. Les chansons de « Coral Dusk » ont été composées au milieu de la nature où tu vivais quasiment en ermite… Comment as-tu enfanté ces chansons ?
P.V. : Ces voyages que j’ai effectués seule en Suède puis en Norvège, au milieu de la nature, sont vraiment ancrés dans ma mémoire. Même en dehors de la musique. Ça m’a permis de tout lâcher. Je me suis retrouvée seule sans rien devoir à personne. Je me suis sentie libre de façon intense, il y avait beaucoup d’émotion et beaucoup d’intuition aussi.

«Au milieu de la nature, la solitude est plus harmonieuse»

Est-ce un moment important dans ta vie ? Ça a débouché sur une remise en question ?
P.V. : J’ai toujours fait des remises en question. Ça ne me faisait pas peur d’être confrontée à moi-même. En étant seule, j’ai pu effectuer cette remise en question de façon plus harmonieuse et fondamentale. Au milieu de la nature, la solitude est plus harmonieuse… C’était très soulageant pour moi, même si j’ai aussi connu des moments plus difficiles. Je n’aurais pas vécu des moments aussi intenses au milieu d’une ville.

Patricia Vanneste © Jan Opdekamp

Es-tu d’accord si je te dis que « Coral Dusk » comprend deux faces qui se complètent ? Il y a les titres chantés, comme une pop aérienne et d’autres, instrumentaux, largement improvisés.
P.V. : Je n’ai pas trop réfléchi à cela. En vérité, j’écoute peu de musique à la maison. J’ai peu d’influences, elles ne sont pas très claires… J’aime les mélodies vocales comme on les utilisait dans Balthazar. Mais j’aime aussi que le texte ne prenne pas le dessus sur la composition. Pour l’album, j’ai consciemment écrit une chanson de dream pop (« Radar ») puis je me suis lâchée. J’utilise le violon comme la voix et inversement. Même lorsqu’elles sont chantées, certaines compositions sonnent comme des instrumentaux. En voyage, le violon prenait le dessus. J’aime les harmonies, mais elles sont intuitives, improvisées. J’ai utilisé la voix pour exprimer quelque chose…

«J’ai suggéré à mes amis d’écouter cette musique comme moi je l’ai conçue, en étant seule, en pleine nature. C’est à ce moment-là que l’on ressent les choses le plus intensément»

Entre mélancolie et beauté… Où se situe ta musique ?
P.V. : Il y a un peu des deux… C’est une question que je me pose souvent… Je trouve que les choses sont plus belles quand je suis seule… J’aime par exemple aller au cinéma ou à un concert seule. Tu le vis plus intensément. En fait, je pense que la mélancolie renforce la beauté.

Le Sjel © France Paquay

Tout ceci en écoute dans le « Sjel ». Tu peux nous en parler ?
P.V. : Il a été conçu avec mon compagnon qui est architecte. L’étape suivante, c’était les concerts, je m’interrogeais. Après, que restera-t-il de la musique ? J’ai envoyé mes démos à quelques amis proches en leur suggérant d’écouter cette musique comme moi je l’ai conçue, en étant seule, en pleine nature. C’est à ce moment-là je trouve que l’on ressent les choses le plus intensément. C’est un peu l’idée du Sjel. Un cube en bois, avec une vitre / miroir, que l’on pose en pleine nature et dans lequel tu peux écouter « Coral Dusk », assis sur un banc. Une sorte de salle de concert personnelle, sans ma présence physique qui serait trop imposante… Une fois installé dans ce cube, tu as le droit d’oublier qui tu es. Il y a juste la musique, la nature… C’est une expérience totalement différente que d’aller voir un concert ou que d’écouter le disque à la maison.

«Nous n’avons peut-être pas choisi le meilleur moment pour sortir ce disque…»

Il trouvera encore d’autres emplacements ?
P.V. : Oui, il bouge. Après le Connectera à Maasmechelen, il trouvera un nouvel endroit, même si ce n’est pas facile car son emplacement dépend aussi de certaines conditions techniques pour le transport… (NDLR – vous pouvez le trouver du 15 octobre au 15 novembre à Courtrai, dans le cadre du festival créatif « Wonder »).

Sohnarr en concert, ça donnera quoi ? Dans quelle configuration évoluerez-vous ?
P.V. : Nous serons cinq sur la scène. J’ai pensé aussi à une configuration à trois ou à quatre…

«… la culture semble à nouveau être abandonnée. Comme s’il s’agissait d’un produit de luxe pas nécessaire. A chaque crise, ça recommence…»

Patricia Vanneste © Jan Opdekamp

Pourquoi pas seule ?
P.V. : (elle rit) Non, ce n’est pas une bonne idée ! Je pourrais utiliser un looper, mais ma musique ne s’y prête pas. Quand tu écris avec des cordes, si tu veux reproduire l’harmonie, il faut au moins être à trois. Donc il y aura un alto, un violon et un violoncelle, plus un claviériste et moi (chant, violon et parfois des claviers). Nous aurons quelques dates dans la deuxième quinzaine d’octobre… Certains concerts ont dû être annulés ou reportés… Nous n’avons peut-être pas choisi le bon moment pour sortir ce disque (sourire)…

La crise sanitaire a en effet touché les artistes… Vous n’êtes pas non plus protégés par des décisions politiques…
P.V. : Je ne sais pas comment ça se passe ailleurs. Je suis également programmatrice de concerts classiques pour une salle. J’avais introduit un dossier pour obtenir un subside. L’avis était positif, mais j’ai quand même essuyé un refus. On ne comprend pas vraiment. Où se situe la logique ? Depuis quelques années, la culture semble à nouveau être abandonnée en Flandre. Comme s’il s’agissait d’un produit de luxe pas nécessaire. A chaque crise ça recommence… C’est un peu démotivant, je connais des artistes qui hésitent à poursuivre sur cette voie-là… On n’a pas l’impression d’être soutenus. On s’interroge : après la crise, est-ce que les gens reviendront voir des concerts ? Je ne crains pas pour les concerts qui attirent un public majoritairement jeune… Par contre, les concerts de musique classique ou de jazz risquent de perdre du public… Pourtant, les mesures sanitaires sont strictement respectées. Aujourd’hui, il est moins dangereux de se rendre à un concert que de faire ses courses…

Vivez l’expérience du « Sjel » : www.sohnarr.com/sjel

Sohnarr en concert au Handelsbeurs de Gand (le 14 octobre), au 30CC de Leuven (16 octobre), au Théâtre de Courtai (21 octobre), au Centre culturel de Hasselt (24 octobre) et au Cactus de Bruges (30 octobre).

Sohnarr
Coral Dusk
Pias

Chronique JazzMania

Propos recueillis par Yves «JB» Tassin