Stick Men : Owari
Prenez trois musiciens de haut vol : Tony Levin (bassiste de Peter Gabriel depuis ses débuts solos en 1977, faisant partie de l’actuel King Crimson qu’il fréquente depuis une quarantaine d’années, cofondateur de projets passionnants tels que Bruford Levin Upper Extremities, Liquid Tension Experiment, Bozzio-Levin-Stevens ou The Crimson ProjeKct, ayant collaboré avec Pink Floyd et Yes, ayant été invité sur des albums d’Alice Cooper, Tom Waits, Paul Simon, Bryan Ferry et de bien d’autres encore), Markus Reuter (guitariste ayant fait partie de Centrozoon ou du Crimson ProjeKct, ayant enregistré de très nombreux et originaux albums solos – voir notre récente chronique – et Pat Mastelotto (batteur et cofondateur de Mr. Mister, faisant partie de la galaxie King Crimson depuis bientôt trois décennies et ayant également participé au Crimson ProjeKct)… Prenez donc ces trois musiciens et vous obtenez un des power trio de rock fusion les plus innovants, Stick Men. Dont une des principales références est King Crimson, ce qui n’est pas étonnant, vu que deux des membres en font partie et que tous les trois prirent part au Crimson ProjeKct, à une époque où il semblait que le groupe original ne renaîtrait plus. Actif depuis une douzaine d’années, Stick Men a enregistré 6 albums studios et de nombreux live, dont certains avec des membres ou ex-membres de King Crimson en invités (le violoniste David Cross sur les albums « Midori » ou « Panamerica » ou le saxophoniste Mel Collins sur « Roppongi »). Sur ce « Owari », témoin de ce qui devait être une tournée asiatique, le trio a invité le claviériste (et également excellent batteur) Gary Husband, qu’on a pu entendre chez Jack Bruce ou Allan Holdsworth et faisant partie de l’actuel groupe de John McLaughlin. Programmée en 2019 et prévue pour février-mars 2020, cette tournée asiatique s’annonçait très excitante au départ. Très vite, il fallut déchanter. Après la rapide annulation du concert de Hong-Kong (pour cause de situation politique), ceux de Shanghai et Pékin furent à leur tour annulés par les autorités chinoises, vu la situation sanitaire dans le pays (un virus que l’on croyait lointain et que nous avons appris à mieux connaître depuis lors). Il restait donc les 5 concerts japonais, à commencer par Nagoya le 28 février 2020. Ce même jour, le gouvernement japonais décidait d’interdire les manifestations culturelles à partir du lendemain… Cette belle tournée asiatique se limita donc au seul concert de Nagoya, qui nous est proposé sur cet « Owari ». Enregistré devant un public clairsemé (la peur du virus), cet opus est une nouvelle petite merveille à ajouter à la discographie de Stick Men. Comme d’habitude, le répertoire est partagé entre des compositions du groupe, des reprises de King Crimson (on retrouve ici l’inévitable « Lark’s Tongues in Aspic, Part II » et « Level 5 ») et des morceaux improvisés. La dynamique du groupe est impressionnante : Tony Levin (qui, comme c’est de plus en plus souvent le cas, a délaissé sa basse au profit d’un Chapman stick), Markus Reuter (avec ses touch guitars aux sonorités très crimsoniennes) et Pat Mastelotto (avec sa kyrielle de percussions acoustiques et électroniques) forment un vrai bloc avec une aisance stupéfiante et proposent une musique énergique, extrêmement technique, tout en étant très accessible. Ce qui est également remarquable, c’est l’intégration aux claviers de Gary Husband qui n’avait jamais joué avec le groupe précédemment. Cela ne se remarque absolument pas et ses interventions apportent un supplément évident à la richesse de l’ensemble. Un document sur une tournée (qui devait être lucrative et qui se transforma en marasme financier…) qui dura une soirée…
Sergio Liberati