The Gospel Truth ‐ The Complete Singles Collection
Craft Records / Stax ‐ 34 faces, 2 Cds ‐ Références : CR 00332
Comme toutes les compagnies de disques s’adressant en priorité aux communautés noires d’Amérique (plus encore après la seconde guerre mondiale qu’avant, et en particulier dans les années 70, après les quelques résultats obtenus suite aux marches organisées par le Révérend Martin Luther King dans les années 60 pour exiger le respect des droits civiques des Noirs), Stax Records à Memphis, Tennessee, avait un compagnie-sœur, du nom de The Gospel Truth (1), enregistrant et proposant du black gospel aux amateurs, avec des artistes et groupes propres, mais aussi des groupes qui passaient allégrement de la soul au gospel (2) comme les Staples Singers par exemple (3). C’était du gospel urbain moderne, différent du gospel rural d’avant 1940, une musique plus orchestrée mettant à l’honneur une combinaison de piano ET orgue, guitares, basse, drums, voire cuivres et synthétiseurs. La production était très soignée et la publicité intensive et sans failles, ce qui explique le succès de cette compagnie, outre la qualité de ses artistes. L’influence du blues de Beale Street restait présente, soit ouvertement, soit de façon latente. Il a fallu attendre (trop) longtemps pour voir apparaître enfin une réédition copieuse de ces enregistrements modernes et encore très proches de la soul sur le plan des orchestrations et des prouesses vocales.
Mais voilà, ça y est, avec un ensemble de 2 CDs reprenant tous les singles du catalogue The Gospel Truth (4). Le groupe vedette de cette compagnie active, comme Stax, de 1972 jusqu’à la faillite en 1975, était le Rance Allen Group, un groupe familial de Detroit, Michigan, dont le leader, Rance, chanteur et guitariste, possédait un registre vocal très étendu allant du grave à l’aigu et qui utilisait un panaché de gospel, de blues, de rock, de soul, de R&B et de rock ‘n roll du plus bel effet, résumé en « gospel rock », ses idoles étant Johnny Taylor, les Staple Singers, Isaac Hayes et consorts. Ce style gospel rock connut un succès prodigieux dans les communautés africaines-américaines. Ce groupe est présent ici avec 10 faces remarquables, réparties sur les 2 albums, dont une très belle version dépoussiérée et bien scandée de « Up Above my Head I hear Music in the Air » (popularisé par Sister Rosetta Tharpe), le joyeux et festif « There’s Gonna Be a Showdown », un « I Know a Man Who » en rock ‘n soul où Rance Allen déploie une voix prenante du genre qu’on n’oublie pas, comme dans un « We’re the Salt of the Earth » exaltant et entraînant… Il y a aussi un paquet de chorales très en vogue en cette période, comme le Terry Lynne Community Choir (2 faces avec la belle voix prenante de Terry Lynne dans « Consider Me »), le Reverend W. Bernard Avant Jr . & The St. James Gospel Choir, qui dégage un rythme d’enfer (oops! Sorry !) dans « Don’t Let the Green Grass Fool You », une fine allusion à l’ « herbe »(marijuana) dont il réprouve l’usage incité par le diable, comme l’indique bien le sous-titre « Don’t Let the Devil Fool You ». Une mention aussi pour les 2 faces du Révérend Maceo Woods de Chicago et son Christian Tabernacle Concert Choir (The Magnificent Sanctuary Band) dont « Marching for the Man », qui commence comme une marche triomphante et martiale pour se poursuivre dans une ambiance festive avec une syncope excitante. Il y a aussi 21st Century avec un « Who’s Supposed to Be Raising Who Funky » et le bon conseil exprimé dans « If the Shoe Fits, Wear It » ! N’oublions pas Blue Aquarius, un orchestre psychédélique œuvrant pour un guru Indien de 15 ans !….Ni le People’s Choir Of Operation Push (5) et son gospel triomphant bien assuré (« I’m a Child of the King »).
Enfin il y a des solistes remarquables, spécialistes de tours-de-force vocaux , généralement dans le style gospel rock, comme le couple Charles May et Annette May Thomas qui pratique une soul tantôt triomphante et jubilatoire (« Keep my Baby Warm »), tantôt haletante et fébrile avec une touche de blues (« Satisfied »). C’est aussi le cas de Jessie Jo Armstead avec 4 faces de gospel rock dont le remarquable « I Got the Vibes », l’intense « Stumblin’ Blocks, Steppin’ Stones » et un « Give a Little Loving » où elle laisse éclater sa joie et son bonheur sur un rythme effréné. Le cas encore de Jacqui Verdell qui propose 2 de ses propres compos dont le survolté « We’re Gonna Have a Good Time », le cas aussi de Jimmy Jones avec une belle voix de basse qui donne un bon conseil, « Do it Yourself » (une composition du saxophoniste Gene Barge) en style rock comme sa version très personnelle de « If I Had a Hammer ». On terminera avec Louise McCord, une grande dame du Gospel, qui n’a pas la notoriété qu’elle mérite pour son large registre vocal et la qualité de ses interprétations (« Reflections » et « There’s no Need to Cry »).
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(1) Pour le gospel, le label The Gospel Truth avait été précédé par Chalice Records qui eut une vie très brève.
(2) C’est normal puisque le black gospel est à la source même de la musique soul : mêmes arrangements, même technique de chant (un ou plusieurs solistes pour le «call» et des acolytes pour le «response»), la même fougue, la grande différence résidant dans les lyrics et le remplacement de « Jesus » par « Baby » et, en partie, dans l’instrumentation avec recours aux guitares, basse, piano + orgue et, occasionnellement, aux synthétiseurs et aux cuivres…
(3) Groupe de gospel traditionnel de Chicago devenu, chez Stax, le chantre d’une musique à message avec des protest songs très populaires (« Respect Yourself », « Why ? (Am I Treated so Bad) », « Freedom Highway », « We Shall Overcome », « Use what You Got, John Brown », etc.
(4) Inutile de préciser que le catalogue The Gospel Truth est riche en albums complets non seulement de tous ces groupes et solistes mais aussi d’autres artistes non présents ici. Ils sont sans doute difficiles à trouver de nos jours sauf sur des sites de seconde-main, type eBay etc.
(5) En 1965 , le Sénateur Jesse Jackson (ami et disciple de Martin L. King) fut à l’origine, avec d’autres, de l’opération Breadbasket à Chicago. Il s’agissait essentiellement d’inciter les entreprises locales à engager des Africains-Américains et accessoirement de distribuer du pain aux pauvres des ghettos. En 1971, Jesse Jackson quitta Breadbasket et fonda l’Operation Push (People United to Serve Humanity) qui poursuivait les mêmes buts à partir de son Q.G. dans Hyde Park. Le déclin démarra dans les années 80 quand Jesse Jackson se lança dans sa campagne présidentielle, qui connut un échec cuisant.