Una striscia di terra feconda 2021 ‐ Roma (Casa del Jazz + Auditorium Parco della Musica)

Una striscia di terra feconda 2021 ‐ Roma (Casa del Jazz + Auditorium Parco della Musica)

Sergio Liberati, le plus italien de nos reporters liégeois était à Rome… Encore et encore (en attendant Milan…).

Auditorium Parco della Musica © D.R.

Una striscia di terra feconda (que l’on peut traduire par « une bande de terre féconde ») est un festival franco-italien de jazz et de musiques improvisées organisé pendant l’été à Rome et dans sa région. Ce festival est né en 1998 de la volonté commune de Paolo Damiani (contrebassiste italien bien connu, à la tête de nombreuses formations qui ont permis de découvrir de nouveaux talents et qui, à l’époque, était directeur du département jazz au Conservatoire de Rome) et du Français Armand Meignan (directeur artistique de nombreux festivals en France et créateur de l’AFIJMA, réseau de festivals jazz français, devenu en 2013 l’Association Jazzé Croisé – AJC – association qui s’est ouverte à toutes les organisations impliquées dans la diffusion du jazz en France).

Cette édition, la 24ème, a débuté le 24 juillet par des concerts les plus divers dans la Province de Rome pour se terminer par des concerts plus importants sur les sites de la Casa del Jazz et de l’Auditorium Parco della Musica, du 6 au 13 septembre. Aujourd’hui, ce festival, qui a lieu annuellement à Rome, est toujours co-dirigé par Damiani et Meignan, qui présentent, chaque soir, ensemble, les concerts.

J’ai assisté à 3 soirées de ce festival du 10 au 13 septembre (à noter que du 6 au 9 septembre, ce festival proposait, entre autres formations, un trio Di Battista-Truffaz-Hnatek, Claudio Fasoli (le saxophoniste de Perigeo)-Nguyên Lê Quartet, Louis Sclavis Quartet ou encore un trio composé de Médéric Collignon, Filippo Vignato et François Jeanneau.

Soirée du 10/09/2021

Casa del Jazz : Drago-Roccato-Benoït + Pronto (Marguet-Erdmann-Cuisinier-Marcotulli)

Daniel Erdmann © Dirk Bleiker

Paolo Damiani présenta Daniele Roccato comme un des contrebassistes les plus novateurs qui soient. Plus connu dans le monde de la musique contemporaine (à la tête d’un octet de contrebasses) ou classique, Roccato présente un trio à cordes inédit composé du Français Olivier Benoit (guitare) et de Anais Drago (violon, une artiste touchant à plusieurs styles musicaux et faisant partie de l’Orchestra Nazionale Jazz Giovanni Talenti dirigé par Paolo Damiani) remplaçant Régis Huby, initialement prévu. Ces musiciens nous proposèrent 45 minutes d’improvisations, où le silence avait sa place, construisant, pas après pas, une œuvre d’une réelle beauté.

«Le silence avait sa place, construisant pas après pas une œuvre de réelle beauté»

Ce fut ensuite le tour de Pronto, nouveau projet du saxophoniste-flûtiste allemand (établi en France) Daniel Erdmann et du batteur Christophe Marguet (ces deux-là collaborent sur de nombreux projets communs depuis une dizaine d’années). Ils étaient accompagnés d’Arnault Cuisinier (contrebasse) et de la pianiste Rita Marcotulli, grande dame du jazz italien (à laquelle Erdmann rendit un bel hommage, expliquant que lorsqu’il était jeune Dewey Redman était son idole et que à chacun de ses concerts à Berlin où Erdman étudiait, il était présent. Il se souvenait d’un concert où il avait été subjugué par une jeune pianiste qu’il ne connaissait pas et qui était Rita Marcotulli). Avec de tels musiciens, on ne risquait pas d’être déçu : cette formation présenta des compositions inédites pendant lesquelles des conversations musicales à un niveau très élevé se tissèrent. Très belle soirée.

Soirée du 11/09/2021

Auditorium Parco della Musica : ONJ Paolo Damiani + PAF (Fresu-Salis-Di Castri)

L’Orchestre National de Jazz est une institution dans le monde du jazz en France. Initié en 1986 par Jack Lang, alors ministre de la Culture, l’ONJ était « destiné à faire vivre et à renouveler le répertoire des grands orchestres de jazz ». Depuis sa création, il y eut 12 directeurs artistiques. Un seul n’était pas Français : le contrebassiste italien Paolo Damiani qui a dirigé l’ONJ de 2000 à 2002. Sa désignation ne fut pas du goût de tous, malgré la présence de François Jeanneau (1er directeur artistique de l’histoire de l’ONJ) à la codirection. Paolo Damiani n’alla finalement pas au bout de son mandat (généralement 3 ans) malgré un groupe d’un très haut niveau, qui allait révéler des musiciens devenus aujourd’hui incontournables et la réalisation d’un des plus beaux disques de l’ONJ : « Charmediterranéen », avec Gianluigi Trovesi et Anouar Brahem en invités.

«L’ONJ, 12 directeurs artistique… Un seul n’était pas français, ce qui ne fut pas au goût de tous…»

Cette introduction était nécessaire pour comprendre ce concert ONJ Paolo Damiani, organisé par un festival franco-italien, pour fêter les 20 ans de ce groupe. Paolo Damiani a essayé de regrouper autour de sa personne un maximum de musiciens présents vingt ans plus tôt. Beaucoup étaient présents, malgré quelques absences de dernière minute, mais remplacés par d’autres grands musiciens : c’est ainsi que comme le jour précédent, le violoniste Régis Huby était remplacé par Anaïs Drago, le saxophoniste Thomas de Pourquery par Rosario Giuliani et le tromboniste Gianluca Petrella par Filippo Vignato. Etaient bien présents : François Jeanneau (sax soprano et flûte), Médéric Collignon (cornet, bugle, voix), Alain Vandenhove (trompette, bugle), Javier Girotto (sax tenor et baryton), Didier Havet (soubassophone), Olivier Benoit (guitare, il fut lui-même directeur de l’ONJ de 2014 à 2018) et Christophe Marguet (batterie). Quel plaisir de réentendre ce groupe et ses musiciens extraordinaires jouant comme s’il n’avait jamais cessé d’exister. En outre, le répertoire était inédit et écrit spécialement pour l’occasion : des compositions de François Jeanneau, Paolo Damiani (« Immagino l’ONJ vingt ans après ») ou encore d’un Médéric Collignon (« Dieu est vacciné, effets secondaires ») en toute grande forme et qui montra une nouvelle fois ses capacités vocales. Une heure de pur bonheur.

Furio Di Castri © homepage

«Avec ce trio, c’est comme faire du vélo : ça ne s’oublie pas» Furio Di Castri

Cette soirée était définitivement marquée du sceau du souvenir : après le 20ème anniversaire de l’ONJ de Paolo Damiani, place à PAF (en référence aux initiales des prénoms de chacun des musiciens : Paolo Fresu à la trompette et au bugle, Antonello Salis à l’accordéon et au piano et Furio Di Castri à la contrebasse). Ce trio a enregistré 2 albums : « Live in Capodistria » enregistré live en 1996 et « Morph », album studio de 2004. Il n’avait plus donné le moindre concert depuis plus de dix ans. Et ici encore, c’était comme si c’était hier… Les morceaux (principalement extraits de leurs albums) se sont enchaînés avec bonheur, avec un Antonello Salis toujours aussi « allumé » (son piano qu’il a trituré en a vu de toutes les couleurs…) malgré ses 70 ans passés. Lorsque après une heure 30 de concert, Furio Di Castri prit la parole, on croyait que c’était pour signifier la fin du concert. Il expliqua simplement que « jouer avec ce trio, c’est comme faire du vélo : cela ne s’oublie jamais. Donc, on continue… ». Il était minuit bien passé lorsque nos lascars déposèrent leur instrument. Quelle soirée !

Soirée du 13/09/2021

Casa del Jazz : Remise des prix SIAE 2021 + Danilo Rea/Luciano Biondini

Chaque année, la SIAE (Société Italienne des Auteurs et Editeurs) remet un prix à des jeunes musiciens prometteurs dans différents styles musicaux. La remise des prix « jazz » a récompensé Federico Calcagno (clarinette), Ferdinando Romano (contrebasse), Michelangelo Scandroglio (contrebasse) et Francesco Fretini (trompette, déjà bien connu en tant que membre de l’Orchestra Nazionale Jazz Nuovi Talenti dirigé par Paolo Damiani). Ces musiciens, des grands noms de demain, devaient pour l’occasion présenter chacun une composition originale, accompagnés des autres primés, soit une formation des plus hétéroclites avec deux contrebasses, une clarinette et une trompette… Malgré cette difficulté, chacun des musiciens réussit à montrer ses grandes capacités techniques sur des compositions de qualité.

Vint ensuite le tour du duo composé de Danilo Rea (piano) et Luciano Biondini (accordéon) lequel remplaçait Enrico Rava (qui a dû supprimer tous ses concerts estivaux pour raison médicale… et qui a donc dû être remplacé par Ralph Alessi pour le concert de Flagey avec Fred Hersch). Danilo Rea est un des plus importants pianistes du panorama jazz italien (pour la petite histoire, il faisait partie du sextet qui inaugura la Casa del Jazz le 21 avril 2005, accompagné de Roberto Gatto, Paolo Fresu, Enzo Pietrapaoli, Stefano Di Battista et Dino Piana). Luciano Biondini, après avoir longtemps été un musicien impliqué dans la musique classique, a décidé de parcourir les différentes voies du jazz. On a pu l’écouter aux côtés de Roberto Ottaviano, Battista Lena, Gabriele Mirabassi ou encore Enrico Rava. Ce soir, ce duo proposa une performance dédiée aux poètes de la chanson italienne. A partir de thèmes de chanteurs comme Paolo Conte, Gina Paoli, Fabrizio De André, Sergio Endrigo ou Pino Daniele, Rea et Biondini vont se perdre et se retrouver dans une alchimie parfaite mêlant mélodie et improvisation, poésie et émotion. Une façon très particulière, mais totalement contrôlée, de se souvenir de la grande histoire de la musique italienne. Splendide.

Voilà, ce concert clôturait ce festival extrêmement orignal, permettant la rencontre de musiciens français et italiens. Au plaisir de se retrouver en 2022.

Sergio Liberati