Henri Texier : Heteroklite Lockdown

Henri Texier : Heteroklite Lockdown

Label Bleu

Durant la pandémie, Henri Texier s’est retrouvé démuni : pas de concert, pas de public. Mais restait cette fonction essentielle qu’est la musique. Dans un geste de résistance, le contrebassiste s’est alors résigné à jouer à la maison avec son plus précieux complice : « Il se trouve qu’avec Sébastien, mon fils mais aussi mon plus fidèle partenaire depuis près de 30 ans, nous habitons le même village. Quand on s’est retrouvé enfermés à cause de l’épidémie, on s’est dit qu’au lieu de se morfondre chacun chez soi, on pourrait peut-être braver les interdits et se réunir deux ou trois fois par semaine pour continuer à jouer, tout simplement. Au départ, c’était juste cela : un geste de survie un peu instinctif, une réponse directe et spontanée à la nécessité où l’on se trouvait de ne pas laisser la musique s’échapper. »

Les voilà partis pour des séances de duo contrebasse / saxophone alto, revisitant d’anciens thèmes mais aussi de grands classiques. Petit à petit un répertoire cohérent s’est constitué et l’idée de réaliser un album au titre évocateur, « Hétéroklite Lockdown » a pris forme. Grâce à la musique, cet enfermement, au lieu de les amener à un repli sécuritaire, les poussait au contraire résolument vers l’autre (hétéros), et vers un troisième complice, le batteur Gautier Garrigue, déjà présent sur les derniers albums (« Sand Woman », « Chance »). La séance d’enregistrement réalisée par le fidèle Philippe Teissier du Cros s’est déroulée au club Le Triton où s’est si souvent produit Texier.

Les huit plages de l’album regroupent trois classiques, comme à l’époque de « Love Songs Reflexions » du Red Route Quartet, soit « Round About Midnight », « What Is this Thing Called Love » et « Besame mucho ». Puis viennent trois nouvelles compositions (« Bacri’s Mood » d’Henri, « Take Your Time » de Sébastien et « Forest Forgive Them » de Gautier) et deux reprises de cet univers musical si personnel, « Fertile Danse » de l’album « Mosaïc Man » de 1998 et « Izlaz », un titre du Transatlantic Quartet. Sur le classique de Monk, Sébastien développe la mélodie mélancolique avec une sonorité fluide et lisse qui peut évoquer Paul Desmond. « Bacri’s Mood » adopte un rythme plus sautillant. « What Is this Thing Called Love » s’ouvre sur une belle intro d’alto, avec un solo de batterie qui démontre toute l’inventivité de Garrigue. « Take Your Time » et « Forest Forgive Them » mettent en évidence tout l’aspect mélodique de la contrebasse. « Besame mucho » permet au saxophone alto d’exprimer toute sa douceur, avec la contrebasse en contrechamp. L’album se clôt avec deux anciens titres, l’un virevoltant, l’autre plus apaisé, qui reflètent parfaitement cet univers personnel d’Henri Texier. Un univers immédiatement reconnaissable par sa forte identité. Un bel album qui témoigne d’un geste de résistance : faire de la musique. Une éclaircie dans la grisaille ambiante.

Claude Loxhay