Pigments & the clarinet choir – Léon-Gontran Damas’s Poetry
Voici un projet original et très intéressant : mettre en musique des poèmes de l’auteur guyanais Léon-Gontran Damas. Fondateur du mouvement de la Négritude, avec Aimé Césaire et Léopold Sédar Senghor, il est une des voix majeures du XXe siècle. Né à Cayenne, il a poursuivi ses études secondaires à Fort de France avant de gagner Paris pour suivre des études supérieures de droit et fréquenter les hauts lieux de l’africanité de la capitale française. Comme le dit Senghor dans son Anthologie de la nouvelle poésie nègre de 1969, la poésie de Damas « est faite des mots de tous les jours, nobles ou grossiers, le plus souvent des mots les plus simples. Le tout soumis au rythme du tam tam car, chez Damas, le rythme l’emporte sur la mélodie ». Damas, cet « Orphée noir » (Sartre), revendique ses racines « nègres » face au monde blanc, notamment face aux sermons de sa mère, inspirés du plus pur colonialisme assimilateur : « Il m’est revenu que vous n’étiez encore pas à votre leçon de violon / un banjo, vous dites un banjo / vous saurez qu’on ne souffre chez moi ni ban / ni jo / les mulâtres ne font pas ça / laissez donc ça aux nègres » (« Pigments »).
Ici, l’album reprend 12 titres de « Pigments », un recueil de 1937. A la base du projet, Guillaume Hazebrouck qui a toujours manifesté un intérêt pour les musiques hors sentiers battus (Mompou, Threadgill, Sun Ra), au travers de différents média artistiques. Il a formé la Cie Frasques en compagnie du clarinettiste Olivier Thémines avec qui il a déjà rendu hommage à Coltrane et à Yusef Lateef. A la voix, avec une tonalité récitatrice très vigoureuse plutôt qu’au slam annoncé par la pochette, le Congolais Nina Kibuanda, comédien et slameur aux multiples expériences (collaboration avec des musiciens traditionnels ou de jazz, auteur de recueils comme « Baisers de ma solitude » ou « Mots en fleurs », créateur des formations Bouche de crocodile et Cordes sensibles et interprète de l’opéra « Les Sauvages » co-produit par Nantes Opéra et la Cie Frasques de Guillaume Hazebrouck. A la basse électrique, le soutien vigoureux d’Olivier Carole. Quant au Clarinet Choir, il est composé de Julien Stilla et Nicolas Audouin, sous la direction d’Olivier Thémines qui a déjà collaboré avec Hazebrouck (« Frasques et sketches » ou « Miniatures » en trio). Aux 12 textes du cédé (« A Call ») répondent, en guise de dialogue, d’autres suggérés (« Response »). Après une intro nerveuse de piano, le premier texte, « Blanchi », est scandé sur un ton très vigoureux : « Se peut-il donc qu’ils osent / me traiter de blanchi / alors que tout en moi / aspire à n’être que nègre / autant que mon Afrique / qu’ils ont cambriolée ». Avec « Le Vent », le ton se radoucit comme pour « Il est des nuits ». Les textes se suivent sur le rythme cadencé d’un piano omniprésent, une basse obsédante et le chœur des clarinettes qui donne des colorations plus paisibles au duo voix / piano. Une belle réussite pour un projet ambitieux.